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Полное собрание сочинений. Том 11. Былое и думы. Часть 6-8

sauvegardées par le servage. L’amour était triste dans l’izba. – Toujours sous la menace d’une séparation forcée par ordre du seigneur – il s’envisageait comme un vol. Le village fournissait la maison seigneuriale de bois, de foin, de moutons et de ses propres filles. C’était bien loin de toute dépravation, c’était un genre de devoir sacré qu’on ne pouvait refuser sans enfreindre les lois de la moralité et de la justice et sans provoquer les verges du seigneur et le knout de Sa Majesté.

Ce temps est passé. Je connais peu les mœurs d’aujourd’hui, et je reste tout aristocratiquement dans les parages supérieurs.

La minorté des dames papillonnacées imita admirablement les lorettes parisiennes; il faut leur rendre cette justice: elles s’assimilaient leurs manières, leurs gestes, tout leur habitus enfin, avec un art, une intelligence superbes. Il ne leur manquait qu’une chose pour être accomplies, et cette chose n’y étant pas, l’illusion était troublée – il ne leur manquait que d’être lorettes et elles ne l’étaient pas. C’est toujours Pierre Ier, sciant, rabotant, clouant à Saardam, convaincu qu’il faisait réellement quelque chose. Nos grandes dames jouaient au métier,comme leurs maris se fatiguaient en faisant le tourneur.

Ce caractère de superflu, de luxe, de fleurs doubles,change de fond en comble l’affaire. D’un côté on admire un décor magnifique – de l’autre on sent une nécessité implacable. De là une différence tranchante. On plaint très souvent la bona fide traviata,et presque jamais la dame aux perles, ayant des terres peuplées par des paysans, temporairement obligés maintenant, pillés à perpétuité dans le beau temps du servage. Ayant des sommes folles à dépenser, on peut beaucoup… Faire la lionne excentrique aux eaux d’Allemagne, s’étendre avec une grâce voluptueuse dans sa calèche, faire un grand bruit et de petits scandales, faire baisser les yeux aux hommes par des propos érotiques, fumer des cigares de Havane le soir, prendre du champagne le matin, mettre des rouleaux d’or et des brochures de billets de banque sur le noir et le rouge, changer chaque quinzaine d’amant et faire avec l’ami de service des parties fines, aller entendre des «conversations» et assister à des exercices callisthéniques, être Messaline Ire ou Catherine II, tout est possible, praticable – excepté d’être une lorette. Et pourtant les lorettes ne naissent pas,elles se forment. Mais leur éducation est tout autre que celle de nos turbulentes compatriotes.

Ordinairement une jeune fille pauvre, sans conseil ni protection, va sans savoir où elle va et tombe dans un guet-apens. Froissée, offensée, maculée, abandonnée avec la rage ou l’amour rentré, elle cherche à s’étourdir et à se venger, elle cherche le luxe pour couvrir les taches, elle cherche le bruit pour ne pas entendre une voix intérieure. Pour avoir de l’argent, il n’y a qu’un seul moyen – elle le prend – et s’élance dans une concurrence ardente. Les victoires la gâtent (celles qui n’ont pas vaincu, nous ne les connaissons pas – elles succombent, disparaissent sans traces), elles gardent le souvenir de leur Marengo, de leur pont d’Arcole; impossible de s’arrêter. La courtisane s’est créé elle-même sa position. Elle a commencé à n’avoir que son corps, elle finit par les âmes des richards attachés à elle et qu’elle ruine. La traviata-princesse arrive au monde avec milliers d’âmes de pauvres paysans attachès à ses terres, les ruine aussi et finit très souvent par n’avoir que son corps.

Il n’y a pas de contraste plus fort.

La lorette, soupant dans un cabinet de la Maison d’Or, rêve à son salon futur. La traviata, grande dame chez nous, faisant les honneurs de son salon, rêve à l’estaminet.

Il serait bien intéressant de savoir d’où est venue dans le cœur des dames riches, haut placées, cette soif de ribote, d’esclandre, ce désir de faire parade de leur émancipation, de narguer l’opinion, de jeter tout voile, tout masque; par quel escalier le demi-monde est monté au grand, en y introduisant platoniquement ses mœurs. Les premiers symptômes de cet envahissement du salon par le «camélisme» ne date presque pas au delà de 1840. Mais le revirement était si subit qu’il se faisait encore du vivant des mères et des grand’mères – de nos héroïnes – qui passaient leur existence muette dans la soumission patriarcale; qui, prudes et candides jusqu’à cinquante ans, se contentaient, et cela rarement, dans le silence le plus profond, d’un petit parasite ou d’un grand laquais.

Il y a une coïncidence étrange. Après une prostration morale qui dura plus de dix ans du règne de Nicolas, quelque chose se remua au fond de la pensée – on devint plus triste et plus vif. Une protestation non exprimée se sentait dans l’air, un frémissement fit tressaillir les intelligences; on eut peur du néant, du silence que le régime impérial faisait en Russie. Ce réveil se fit vers les premières années de 1840.

Eh bien, oui, le «camélisme» aristocratique était aussi une protestation et aussi un réveil. Protestation mutine et échevelée, inconsciente, mais protestation de la femme écrasée par la famille, absorbée par la famille, offensée par la dissolution dévergondée du mari. Quelle est donc cette terra incognita dont parlent avec enthousiasme les époux et les jeunes gens? Allons voir de près cette femme libre, qui n’appartient à personne parce qu’elle peut appartenir à tout le monde. Et les romans! les romans! Les jeunes femmes délaissées, emprisonnées sous le despotisme lourd des belles-mères, de la parenté entière, se mirent à lire. George Sand fit ravage en Russie. Enfin la patience se rompt et la femme prend le mors aux dents. «Ah! Messieurs, vous n’aimez que des courtisanes, vous en aurez. – Vous nous aimerez et nous vous dédaignerons». Cette protestation était sauvage; mais la position de la femme l’était aussi. Son opposition n’a pas été formulée, elle fermentait dans le sang; l’humiliation de l’état à demi-serf était sentie, mais non le mode de l’émancipation. L’indépendance personnelle n’allait pas plus loin que de la frivolité à la licence. Son idéal était l’orgie et la conquête. La femme offensée protestait par sa conduite; sa révolte était capricieuse, elle gardait ses mauvaises habitudes, elle se débridait sans devenir libre. Au fond de son âme, il y avait desterreurs et des doutes; elle narguait le monde en le craignant; et, comme une fusée, elle se levait avec éclat et bruit et tombait avec bruit et étincelles, sans s’enfoncer profondément dans la terre.

Telle est l’histoire de nos dames aux perles et aux diamants, à l’écusson et à la couronne princière.

Le vieux grognard Rostoptchine avait bien raison, en disant sur son lit de mort, après avoir entendu la nouvelle de l’insurrection sur la place d’Isaak: «Tout se fait chez nous au rebours du bon sens. En France, la roture voulait monter au niveau de la noblesse, cela se conçoit. Chez nous, la noblesse veut s’encanailler. Allez comprendre cela».

Eh bien, le grand incendiaire de Moscou doit nous excuser, nous comprenons parfaitement cette voie du développement comme conséquence d’une civilisation dont on nous a grevé, d’un dualisme artificiel avec le peuple, et de tout l’ensemble de nos aspirations – mais cela nous mènerait trop loin…

III

Nos camélias doubles ont leur place dans l’histoire; mais elles n’en ont plus dans le mouvement actuel. Qu’elles se consolent. Gœthe a dit: «Ce n’est que le passager qui est beau». C’est la première phalange de volontaires à l’avant-garde, exaltée, téméraire, qui va la première au feu en chantant (peut-être pour cacher l’émotion). La colonne qui la suit est toute autre: austère et sérieuse, elle va avec fière conscience au pas de charge remplacer les bacchantes – un peu chauves et à cheveux blancs.

Dans les nouveaux rangs, il n’y a que des enfants, les plus âgés de 18 ans; mais ces jeunes filles sont des jeunes gens,étudiants de l’Université et de l’Académie médicale. Les camélias ont été nos Girondins; elles nous rappellent des scènes du Faublas. Nos étudiants demoiselles, ce sont les Jacobins de l’émancipation féminine. Saint-Just en amazone – tout est pur, tranchant, sans pitié, avec toute la férocité de la vertu et l’intolérance des sectaires. Elles ôtent la crinoline, elles se désignent par l’absence d’une pièce d’habillement, comme les Jacobins; ce sont des sans-crinolines;les cheveux coupés, l’éclat des yeux amorti par des lunettes bleues pour ne pas offusquer la seule lumière de la raison. Autre temps, autres mœurs, la différence de sexe presque oubliée devant la science. Im Reiche der Wahrheit tous sont égaux.

C’est vers l’année 1860 que s’épanouissent nos fleurs de Minerve: vingt ans de différence avec les fleurs doubles. La traviata et la camélia des salons appartenaient au temps de Nicolas. C’étaient en partie des filles de régiment, des vivandières de la grande caserne d’hiver. Elles appartenaient à son temps comme ces généraux d’étalage, de devanture, qui faisaient la guerre à leurs propres soldats. La guerre de la Crimée mit fin à ces généraux «d’exhibition» et le «nihilisme» supplanta les doubles fleurs tant soit peu fanées. Le bruit des fêtes, les amours de boudoir, les salons de casino se changèrent en auditoires académiques, en salles de dissection, dans lesquelles des jeunes filles étudiaient avec entraînement les arcanes de la nature.

Ce n’est plus une émeute, c’est une révolution. Ce ne sont plus des passions, des aspirations vagues, c’est la solennelle proclamation des droits de la femme. L’amour est relégué au troisième, au quatrième plan. On se livre par principe, on fait des infidélités par devoir. Aphrodite se retire, en boudant, avec son écuyer tout nu, portant le carquois et les flèches. C’est le règne de Pallas-Athènes, avec sa pique, comme Théroigne de Méricourt et le hibou, l’oiseau des sages à côté.

La passion était pour les questions générales. Pour le cas privé, pour l’application, on ne mettait pas plus d’entraînement que n’en mettent

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