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Полное собрание сочинений. Том 13. Статьи из Колокола и другие произведения 1857-1858 годов

voix, que l’on appelle administration, obéit avec le même zèle et le même dévouement servile à quiconque parvient à s’emparer du pouvoir».

IV

Les détails de la journée du 26 sont assez connus. Nous n’en dirons que quelques mots.

Le 24, le prince Troubetzkoï était encore indécis. Mais Ryléïeff tira de sa poche une lettre adressée à Nicolas par un jeune officier (aujourd’hui général Rostovzoff, aide de camp de l’empereur et chef des écoles militaires), et, montrant cette lettre aux membres

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de la sosiété qui étaient presents, il s’écria: «Nous sommes perdus, vous le voyez; mais il vaut mieux périr les armes à la main».

Il avait parfaitement raison. L’effet moral produit par la journée du 26 décembre a été prodigieux. Les canons de la place d’Isaac réveillèrent toute une génération. Jusqu’alors on ne croyait pas à la possibilité d’une insurrection politique allant, à main armée, attaquer, au milieu même de Pétersbourg, le géant du tzarisme impérial. On savait bien que, de temps en temps, on assassinait au Palais un Pierre ou un Paul, pour les remplacer par d’autres. Mais entre ces arcanes d’abattoir et une protestation solennelle contre le despotisme, protestation faite sur la place publique et scellée du sang et des souffrances de ces hommes héroïques, il n’y avait rien de commun. Du reste, ils ne comptaient pas beaucoup sur le succès; mais ils comprenaient la grande signification de leur acte. Le 25, un tout jeune homme, poète aussi, le prince Odoïefski disait avec enthousiasme, en embrassant ses amis: «Nous allons à la mort… mais à quelle mort glorieuse!»

Certes, Ryléïeff avait bien le droit de se glorifier de cette journée; aussi dit-il, quand il fut devant le tribunal: «Je pouvais tout arrêter, j’ai au contraire poussé à l’action. Je suis le principal fauteur des événements du 26. Si quelqu’un a mérité la mort pour cette journée, c’est moi». Cette réponse sublime est traitée dans le rapport de la commission d’enquête d’aveu de culpabilité.

De grand matin, le 26, l’ordre fut donné de faire prêter aux troupes le serment de fidélité à Nicolas. Une partie du régiment de la garde, dit de Moscou, refusa d’obéir et suivit le prince Rostovski et M. Bestoujeff sur la place d’Isaac. Plusieurs compagnies d’autres régiments (grenadiers de la Garde, marine de la Garde, etc.) se réunirent à eux et refusèrent aussi de prêter serment. Les troupes insurgées se formèrent en carré.

Après quelques pourparlers et quelques tentatives infructueuses de la part du vieux métropolitain Séraphin, à qui les soldats dirent de s’éloigner en paix, et du pauvre général Miloradovitch, — brave soldat et le meilleur homme certainement de l’entourage de Nicolas — qui tomba, blessé mortellement par une balle pendant qu’il haranguait les soldats, l’empereur ordonna une charge de cavalerie. Orloff fit trois charges successivement repoussées

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avec une fermeté inébranlable. Nicolas alors, cédant aux conseils du duc de Wurtemberg et des généraux Toll et Soukhosanet, fit avancer l’artillerie.

Deux traits racontés par le baron Korff doivent être mentionnés ici. Lorsque Nicolas donna l’ordre de faire feu, et que Soukhosanet le transmit à l’officier, l’officier le répéta, mais le coup ne partit pas. Tout ébahi l’officier se jeta sur le canonnier en criant:

— N’as-tu donc pas entendu?

— J’ai entendu… mais… ce sont nos frères!

— Eh! quand-même je t’ordonnerais de tirer sur moi-même, oserais-tu ne pas obéir?

Le coup partit portant la mort dans les rangs du carré. Il est dommage seulement que Korff n’ajoute rien sur le sort du canonnier. Voici le second fait. Lorsque les soldats insurgés virent les canons pointés sur eux, ils forcèrent la masse du peuple à s’éloigner, en disant: «Allez vous-en, allez vous-en, cela devient dangereux: nous ne voulons pas qu’on vous tue pour nous!»

La mitraille, force majeure, rendit toute résistance impossible. A dix heures du soir Nicolas fut vainqueur, et de cette heure commença pour la Russie la sombre époque de son règne, règne inauguré par des gibets, et qui s’avance, nageant dans le sang et les larmes de la Pologne et du Caucase, accompagné, pendant les trente années de son existence, de l’unique allié fidèle de Nicolas, le choléra.

Lorsque Ryléïeff descendit avec ses amis sur la place publique, Pestel était déjà arrêté. Alexandre I, lorsqu’il avait reçu les premières dénonciations à Taganrog, n’avait rien fait. Il était déjà malade, lorsque d’autres détails et informations arrivèrent par le général de Witt. Mais les généraux Diebitch,

Allemand-Prussien, et Tchernychoff, connu pour avoir volé un plan stratégique à Napoléon, prirent sur eux de faire arrêter Pestel et quelques autres chefs de la conspiration.

Les officiers appartenant à la société des Slaves-unis, ayant appris cette terrible nouvelle, soulevèrent quelques compagnies de soldats et allèrent, à main armée, ouvrir la prison. Ils la forcèrent en effet et mirent en liberté les deux Mouravioff et quelques autres. Mais malheureusement Pestel n’y était plus. Serge Mouravioff et Bestoujeff-Rumine se mirent alors à la tête de ces

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soldats et tentèrent un coup désespéré. Ils s’emparèrent, avec l’aide d’une partie du régiment de Tchernigoff de la ville de Vassilkoff, et allaient soulever les soldats des régiments amis, lorsque près de Belaïa Tzerkoff, ils rencontrèrent la division du général Geismar. Une bataille s’engagea. Serge Mouravioff, qui était en avant, tomba un des premiers grièvement blessé par la mitraille, et sans connaissance. Quand il revint à lui, il était, ainsi que ses amis, au pouvoir du gouvernement.

Ici finit l’histoire de la conspiration et commence le triste récit, le Carmen horrendum de l’enquête. Il y a quelque chose de hideux, de repoussant dans le spectacle lugubre d’une réunion de vieillards blanchis dans le servilisme et l’intrigue, s’acharnant, pour plaire à un jeune homme qui était plus froidement cruel qu’eux tous, contre ces hommes purs et dévoués.

Pour ne pas se tromper, la haute Cour improvisée condamna à mort tout le monde, et cela illégalement, — la peine de mort ayant été abolie en Russie du temps de l’impératrice Elisabeth et n’ayant jamais été rétablie.

Ayant une marge si entière pour sa clémence, Nicolas en fit périr cinq: Pestel, Ryléïeff, Bestoujeff- Rumine, Serge Mouravioff et Kakhovski52[52]. Pour ajouter à la mort l’infamie, il remplaça la hâche par la corde. Ce tyran stupide ne comprit pas que c ‘est ainsi qu’on fait d’un gibet une croix devant laquelle s’agenouilleni des générations.

Les amis de ces hommes — l’élite de tout ce qu’il y avait de civilisé, de véritablement noble en Russie — allèrent enchaînés aux travaux forcés, dans un coin presqu’inhabité de la Sibérie.

La température intellectuelle de la Russie baissa… et pour longtemps.

V

Avant de terminer notre esquisse, nous voudrions encore une fois résumer la philosophie historique de cet événement.

Pierre I, détachant une partie de la nation et l’entraînant dans

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les voies de la civilisation européenne, forma, avec son aide, un Etat aux formes occidentales. Cette partie de la nation — le status in statu — la noblesse, était alors en Russie le seul peuple actif, gouvernant avec le gouvernement et profitant des avantages de la nouvelle organisation.

La civilisation européenne — nécessaire pour la réforme de la vieille Russie — réveilla dans la classe noble un mouvement intellectuel qui devait bientôt se trouver en hostilité avec l’absolutisme. Soudés pour un temps par la guerre, les deux éléments, après 1815, se virent face à face. Nous avons vu avec quelle vitesse les deux grandes sociétés politiques se répandirent au Sud et au Nord. La Russie active prouva sa majorité politique. Sortant de l’école occidentale, elle en portait l’empreinte, et on peut retrouver dans la littérature, et, mieux encore, dans les débats de la société de Pestel avec la société du Nord, toutes les nuances du libéralisme du temps de la Restauration, telles qu’elles se formulaient par les Riégo et les Mina, par les Carbonari et le Tugendbund, par Benjamin Constant et la tradition révolutionnaire de 92. Mais deux éléments étaient bien faiblement représentés dans la conspiration: c’était l’élément russe et l’élément social. L’un paraissait oublié; l’autre n’était pas encore connu.

Tous les conspirateurs voulaient ardemment l’affranchissement des paysans; mais nous ne voyons que Pestel qui cherchât à baser la révolution sur le peuple et sur l’élément économique, et — voici la conséquence.

Au jour de l’insurrection, sur la place d’Isaac et au centre de la seconde armée, ce qui manqua aux conjurés, ce fut le peuple. Leur libéralisme était trop exotique pour être populaire.

Loin de nous toute idée de reproche. C’était la conséquence logique d’une civilisation importée dans une classe seulement, et de l’éloignement dans lequel la Russie civilisée se tenait de la Russie du peuple.

Le 26 décembre 1825 est le dernier résultat de la réforme de Pierre I, résultat plein d’espérance et qui montre par Pestel, — la vedette la plus avancée — quel chemin il faudra prendre.

Depuis ce jour, nous avons immensément soufferts, dans ce sombre tunnel de règne de Nicolas; mais nous avons beaucoup appris.

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Détenus dans notre empire de correction, le baillon dans la bouche, foulés par les bottes fortes d’un caporal implacable et borné, le carcan au cou, le bâton sur le dos, nous avons eu tout le temps de voir et de penser. De grands événements passaient et repassaient devant le soupirail de notre prison. —

La révolution de 1830 et son escamotage par le duc d’Orléans — l’insurrection de Pologne, étouffée, trahie par tous. — Et quoi encore? — la Sibérie — le knout; le knout — la Sibérie. — Dix-huit ans du règne de l’ordre. On était sans espérance. Les forces s’en allaient et les cheveux blancs venaient. On se résignait au repos. Tout-à-coup… on est réveillé en sursaut; on entend battre la générale; une commotion galvanique traverse l’Europe. C’étaient des moments de lucidité dans le délire… les croyances se réveillent; les paralysés marchent; et nous regardons avec une sympathie frénétique sur l’Occident. Mais l’action galvanique

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