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Полное собрание сочинений. Том 13. Статьи из Колокола и другие произведения 1857-1858 годов

un enfant de quelques mois, sous la régence

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de son amant Biron. Le duc de Courlande était tout-puissant. Méprisant tout ce qui était russe, il voulait nous civiliser par la schlague. Dans l’espérance de s’affermir, il fit périr avec une cruauté froide des centaines d’hommes, en exila plus de vingt mille. Il était maître aussi dur qu’absolu. Cela ennuyait le maréchal Munikh. Celui-ci était Allemand aussi bien que Biron, mais de plus un très bon guerrier. Un beau jour la princesse de Brunswick, la mère du petit empereur, se plaint à Munikh de l’arrogance de Biron. «Avez-vous déjà parlé de cela à quelqu’un?» — demande le maréchal. — «A personne». — «Très bien, taisez-vous et laissez-moi faire». C’était le 7 septembre 1740.

Le 8, Munikh dîne chez Biron. Après le dîner, il laisse sa famille chez le régent, et se retire pour un instant. Il va tout doucement chez la princesse de Brunswick, lui dit qu’elle doit se préparer pour la nuit, et rentre. On se met à souper. Munikh raconte ses campagnes, les batailles qu’il a gagnées. «Avez-vous fait des expéditions nocturnes?» — demande le comte de Lœvenhaupt. «J’en ai fait à toutes les heures», — reprend le maréchal, un peu contrarié. Le régent, qui ne se sentait pas bien et était couché sur un sopha, se redresse à ces paroles et devient pensif.

On se quitte en amis.

Arrivé à la maison, Munikh ordonne à son aide-de-camp, Manstein, d’être prêt à deux heures. A deux heures il se met avec lui dans une voiture et va droit au Palais d’hiver.Là il fait réveiller la princesse. «Qu’avez-vous donc?» — demande le brave Allemand, Antoine-Ulrich de Braunschweig-Wolfenbüttel, à sa femme. — «Une indisposition», — répond la princesse. Et Antoine-Ulrich se rendort comme une taupe.

Pendant qu’il dort, la princesse s’habille, et le vieux guerrier parle aux soldats les plus janissaires du régiment de Préobrajensky, Il leur représente la position humiliante de la princesse, parle de sa reconnaissance future, et, tout en parlant, fait charger les fusils.

Laissant alors la princesse sous la garde d’une quarantaine de grenadiers, il va, avec quatre-vingts soldats, arrêter le chef de l’Etat, le terrible duc de Courlande.

On traverse paisiblement les rues de Pétersbourg; on arrive au palais du régent; on y entre, et Munikh envoie Manstein

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pour l’arrêter, mort ou vif, dans sa chambre à coucher. Les officiers de service, les sentinelles, les domestiques regardent faire. «S’il y eût un seul officier ou soldat fidèle, — dit Manstein, dans ses mémoires, — nous étions.perdus». Mais il ne s’en trouva pas un seul. Biron, voyant les soldats, se sauve, en rampant, sous le lit. Manstein le fait retirer de là. Biron se débat. On lui donne quelques coups de crosse de fusil, et on le porte au corps de garde.

Le coup d’Etat était fait. Mais il va se passer une chose bien plus étrange encore.

Biron était détesté, cela pouvait expliquer sa chute. La régente, au contraire, bonne et douce créature — ne faisant de mal à personne, et faisant beaucoup l’amour avec l’ambassadeur Linar — était même un peu aimée, par haine pour Biron. Une année passe. Tout est tranquille. Mais la cour de France est mécontente d’une alliance austro-russe que la régente venait de faire avec Marie-Thérèse. Comment empêcher cette alliance? — Rien de plus facile: faire un coup d’Etat et chasser la régente. Ici pas même de maréchal vénéré par les soldats, pas même un homme d’Etat: il suffit d’un médecin intrigant, Lestocq, et d’un intrigant ambassadeur, La Ghétardie, pour porter au trône Elisabeth, la fille de Pierre I.

Elisabeth, absorbée dans les plaisirs et dans de petites intrigues, pensait peu au renversement du gouvernement. On lui fait accroire que la régente a l’intention de l’enfermer dans un couvent. — Elle,

Elisabeth, qui passe son temps dans les casernes de la garde et dans les orgies… Plutôt se faire impératrice! C’est aussi ce que pense La Chétardie; et il fait plus que penser, il donne de l’or français pour soudoyer une poignée de soldats.

Le 25 novembre 1741, la grande-duchesse arrive, revêtue d’une robe magnifique et la poitrine couverte d’une cuirasse brillante, au corps de garde du régiment de Préobrajensky. Elle expose aux soldats sa position malheureuse. Les soldats, gorgés de vin, lui crient: «Ordonne, mère, ordonne, et nous les égorgerons tous!» La charitable grande-duchesse recule d’horreur et ordonne seulement l’arrestation de la régente, de son mari et de leur fils — le bambino-empereur.

Et encore une fois même représentation. Antoin-Ulrich de

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Braunschweig est réveillé du plus profond sommeil; mais cette fois il ne peut se rendormir, car deux soldats l’enveloppent dans un drap de lit et le portent dans un cachot, d’où il ne sortira que pour aller mourir en exil.

Le coup d’Etat est fait.

Le nouveau règne va comme sur des roulettes. Il ne manque encore une fois à cette couronne étrange… qu’un héritier. L’impératrice, qui ne veut pas du petit Ivan, va en chercher un dans le palais épiscopal du prince-évêque de Lubeck. C’était le neveu de l’évêque et un petit-fils de Pierre I, orphelin sans père ni mère, le futur de la petite Sophie Auguste Frédérique, princesse d’Anhalt- Zerbst-Bernbourg, qui perdit tant de titres sonores et illustres pour s’appeler tout brièvement… Catherine II.

Maintenant que l’on se figure, d’après ce que nous venons de dire, quel était le milieu dans lequel la fatalité jeta cette jeune fille douée, en même temps, et de beaucoup d’esprit, et d’un caractère pliant mais plein d’orgueil et de passion.

Sa position à Pétersbourg était horrible. D’un côté sa mère, Allemande acariâtre, grognon, avide, mesquine, pédante, lui donnant des soufflets et lui prenant ses robes neuves, pour se les approprier; de l’autre, l’impératrice Elisabeth, virago criarde, grossière, toujours entre deux vins, jalouse, envieuse, faisant surveiller chaque pas de la jeune princesse, rapporter chaque parole, prenant ombrage de tout, et cela, après lui avoir donné pour mari le benêt le plus ridicule de son époque.

Prisonnière dans le palais, elle n’ose rien faire sans autorisation. Si elle pleure la mort de son père, l’impératrice lui envoie dire que c’est assez; que «son père n’était pas un roi pour le pleurer plus d’une semaine». Si elle montre de l’amitié pour quelqu’une des demoiselles d’honneur qu’on lui donne, elle peut être sûre qu’on la renverra. Si elle s’attache à un domestique fidèle, c’est encore plus sûr qu’on le chassera.

Ses rapports avec le grand-duc sont monstrueux, dégradants. Il lui fait des confidences sur ses intrigues amoureuses. Ivrogne depuis l’âge de dix ans, il vient une fois, la nuit, aviné, entretenir sa

femme des grâces et des charmes de la fille de Biron; et, comme Catherine fait semblant de dormir, il lui donne un coup de poing pour l’éveiller. Ce butor tient à côté de la chambre

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à coucher de sa femme une meute de chiens qui empeste l’air, et pend des rats, dans la sienne, pour les punir selon les règles du code militaire.

Ce n’est pas tout. Après avoir offensé, molesté peu à peu tous les sentiments tendres de cette jeune femme, on commence à les dépraver systématiquement. L’impératrice prend pour un désordre qu’elle n’ait pas d’enfants. Mme Tchoglokoff lui en parle, en insinuant qu’enfin il faut sacrifier ses scrupules lorsqu’il s’agit du bien de l’Etat, et finit par lui proposer de choisir entre Saltykoff et Narychkine. La jeune femme joue la niaise, prend les deux — plus Poniatowski, et commence ainsi une carrière érotique, dans laquelle, pendant quarante ans, elle ne s’arrêtera plus.

Ce que cette publication a de grave pour la maison impériale de Russie, c’est qu’elle démontre que non seulement cette maison n’appartient pas à la famille des Romanoff, mais pas même à la famille de Holstein-Gottorp. L’aveu de Catherine, sous ce rapport, est très explicite — le père de l’empereur Paul est Serge Saltykoff.

La dictature impériale en Russie tâche en vain de se représenter comme traditionnelle et séculaire.

Encore un mot avant de finir.

En lisant ces mémoires, on est tout étonné qu’une chose soit oubliée constamment, au point de ne paraître nulle part, — c’est la Russie et le peuple. Et c’est là le trait caractéristique de l’époque.

Le Palais d’hiver, avec sa machine administrative et militaire, était un monde à part. Comme un navire flottant à la surface, il n’avait de vrai rapport avec les habitants de l’océan que celui de les manger. C’était l’Etat pour l’Etat. Organisé à l’allemande, il s’imposait au peuple en vainqueur. Dans cette caserne monstrueuse, dans cette chancellerie énorme, il y avait une raideur sèche comme dans un camp. Les uns donnaient, transmettaient des ordres, les autres obéissaient en silence. Il n’y avait qu’un seul point où les passions humaines réapparaissaient frémissantes, orageuses, et ce point, c’était, au Palais d’hiver, le foyer domestique, non de la nation — mais de l’Etat. Derrière la triple ligne des sentinelles, dans ces salons lourdement ornés, fermentait une vie fiévreuse, avec ses intrigues et ses luttes,

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ses drames et ses tragédies. C’est là que les destins de la Russie s’ourdissaient, dans les ténèbres de l’alcôve, au milieu des orgies, au-delà des dénonciateurs et de la police.

Quel intérêt pouvait donc prendre la jeune princesse allemande à ce magnum ignotum, à ce peuple sous-entendu, pauvre, demisauvage, qui se cachait dans ses villages, derrière la neige et les mauvais chemins, et n’apparaissait que comme un paria étranger dans les rues de Pétersbourg, avec sa barbe persécutée, son habit prohibé — et toléré seulement par mépris.

Catherine n’entendit parler sérieusement du peuple russe que bien longtemps après, lorsque le cosaque Pougatcheff, à la tête d’une armée de paysans insurgés, menaçait Moscou.

Pougatcheff vaincu, le Palais d’hiver oublia derechef le peuple. Et je ne sais quand on s’en serait souvenu, s’il n’avait remis lui-même son existence en mémoire à ses maîtres en

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