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Полное собрание сочинений. Том 18. Статьи из Колокола и другие произведения 1864-1865 годов

formalisme, d’étiquette, dénuée de tout intérêt général.
La distance entre 1810 et 1820 n’est pas grande; mais entre les deux se place 1812. Les mœurs sont les mêmes; les ombres sont les mêmes; les seigneurs qui reviennent de leur province dans la capitale
incendiée sont les mêmes. Mais il y a quelque chose de changé. Un esprit a passé; et ce qu’il a touché de son souffle n’est plus le même. Et d’abord, le foyer qui réfléchit ce monde a quelque chose de nouveau à quoi Von Viesen n’a pas songé. L’auteur a une arrière-pensée; et le héros de la comédie n’est que l’incarnation de cette arrière-pensée.
La figure de Tchatzki, qui, mélancolique et dépaysée dans son ironie, frémissante d’indignation et pleine d’un idéal rêveur, apparaît sur la dernière marche des temps d’Alexandre — la veille de l’insurrection sur la place d’Isaac — c’est leDécembriste? c’est l’homme qui accomplit l’époque de Pierre I-er, et s’efforce-de distinguer au moins à l’horizon la terre promise… qu’il ne verra pas.
On l’écoute en silence, parce que le monde auquel il parle le prend pour un fou — fou à lier — et, derrière son dos, se moque de lui.
II
La courte période qui s’étend de 1812 à 1825 doit être considérée comme la dernière période organique de l’époque civilisatrice en Russie: le programme, en effet, était accompli, dépassé même.
On avait voulu un état fort — Alexandre revenait de Paris, entouré d’un état-major de princes allemands. On avait voulu une noblesse civilisée — la jeunesse aristocratique était libérale, révolutionnaire même, et ne cédant en rien aux radicaux les plus fougueux de son temps.
Du jour où la civilisation commença à se sentir assez forte pour se passer de protection, et le gouvernement à s’apercevoir qu’elle allait échapper à ses bienfaits et à sa direction, une
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collision entre le despotisme protecteur et la civilisation protégée devint imminente. La lutte, à peine engagée, se termina en faveur de l’autocratie. Un régime inexorable de répression suspendit pour trente ans toute initiative politique en dehors du gouvernement, arrêta sur les lèvres la parole commencée et refoula la pensée dans son for intérieur pour lui donner — très involontairement sans doute — une toute autre direction… beaucoup plus grave que ne l’était la précédente.
Dès que l’on revint à soi, après l’abattement général qui suivit la terreur des premières années du règne de Nicolas, une question formidable commença à se dégager de plus en plus des préjugés exotiques greffés sur nous, des opinions toutes faites importées d’ailleurs, et des traditions adoptives. Cette question fatale se dressait devant l’homme pensant, et semblable au Dieu de la Bible, lui demandait encore une fois: Caln, qu’as-tu fait de ton frère?
On commençait à s’apercevoir avec inquiétude de l’absence du peuple. L’édifice de la civilisation russe apparut alors comme suspendu dans les airs, hissé par une corde dont le bout était dans les mains du gouvernement. Mais quelle était la cause de cette indifférence du peuple, de cette apathie dans le malheur et la souffrance? L’histoire du peuple russe présente en effet un spectacle bien étrange. Durant une existence de plus de mille ans, il n’a fait qu’occuper, défricher un territoire immense, et le garder jalousement comme l’apanage de sa race. Ses possessions sont-elles menacées, il s’émeut et va à la mort pour les défendre; mais une fois sûr de l’intégrité de son territoire, il
retombe dans son indifférence passive, indifférence que savent si parfaitement exploiter le gouvernement et les classes supérieures.
Et ce qui confond, c’est que ce peuple non seulement ne manque ni de courage, ni de force, ni d’intelligence, mais au contraire possède ces qualités en abondance. Le paysan russe, en effet, est plus développé que ne l’est la classe agricole dans presque toute l’Europe, la Suède, la Suisse et l’Italie offrant seules quelques exceptions.
La question se présentait en général de la manière suivante. Le peuple russe semblait être une couche géologique enfouie sous une strate supérieure avec laquelle elle n’avait pas d’affinité
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active, quoiqu’elle se fût séparée d’elle. Les forces dormantes, les puissances occultes de cette couche n ‘avaient jamais été complètement réveillées; et elles pouvaient tout aussi bien sommeiller jusqu’à un nouveau déluge, qu’elles pouvaient être réveillées par la rencontre d’autres éléments capables d’imprimer à cette couche une nouvelle existence. De là, naturellement, cette question: où sont ces éléments; quels sont-ils? Si pendant dix siècles le peuple russe ne les a pas rencontrés, qui’ sait s’il les rencontrera pendant son second millésime? Dans ce cas, il n’aurait qu’à se préparer à une existence assez analogue à celle de ses voisins du Thibet et du Boukhara. Du reste, pour les peuples qui ne sont pas entrés dans l’histoire, le temps ne compte pas; leur service actif n’a pas encore commencé.
Les hommes qui n’aiment pas à sortir des sentiers battus, sentiers très sûrs effectivement pour arriver d’un endroit connu à un autre endroit connu, disaient alors, comme ils le font maintenant: «Pourquoi suppose-t-on que le peuple russe puisse avoir un autre développement historique que celui parlequel se sont élaborées les constitutions des autres peuples modernes?» Les hommes auxquels on adressait cette question pouvaient répondre: «Pourquoi? — Qu’en savons nous! Ce n’est pas un privilège que nous voulons garder, ni un avantage que nous revendiquons pour lui. La Russie n’a pas plus de mission à remplir que tout autre peuple; cette idée judaïque n’a jamais été la nôtre. Nous ne faisons donc que constater un fait. Et comme nous pouvons affirmer que l’élément de la conquête, la force municipale, la puissance de la bourgeoisie manquent à la vie russe, nous avons le droit de dire que le ferment, le réactif, le levain qui pourrait entraîner le peuple russe, l’entraîner moralement, à une fermentation organique, était inconnu à l’époque dont nous parlons, et est à peine pressenti maintenant». On s’aperçut clairement, après 1825, que la classe supérieure ne l’avait pas, ce levain; la «civilisation» ne l’avait pas non plus; le gouvernement ne l’avait pas. Au reste le gouvernement, sorti de son rôle «civilisateur», n’avait rien pour lui que la force acquise et l’apathie du peuple.
C’est alors qu’une inquiétude de désespoir et un scepticisme douloureux s’emparèrent des âmes froissées. L’enthousiaste, Tchatzki (le héros de la comédie de Griboïedoff), décembriste au fond dé l’âme, cède la place à Onéguine, au héros de Pouchkine, à l’homme qui s’ennuie, et sent sa colossale inutilité. Onéguine qui était entré dans le monde le sourire sur les lèvres, à chaque chant s’assombrit de plus en plus, et finit par se perdre dans le néant, sans laisser une trace, une pensée. Le type était trouvé; et dès lors chaque roman, chaque poème a son Onéguine, c’est-à-dire un homme condamné à la fainéantise, inutile, désorienté, et qui, étranger dans sa famille, étranger dans son pays, ne veulant pas faire le mal et impuissant à faire le bien, ne fait rien au bout du compte, quoiqu’il essaie de tout, à l’exception de deux choses, qui sont: la première, qu’il ne se range jamais du côté du gouvernement; la seconde, qu’il ne sait jamais se ranger du côté du peuple.
«Ceux qui du temps de Nicolas disaient que l’Onéguine de Pouchkine, était le Don Juan des mœurs russes, ne comprenaient ni Byron, ni Pouchkine, ni l’Angleterre, ni la Russie; ils s’en tenaient à la forme extérieure: Onéguine est la production la plus importante de Pouchkine: elle a absorbé la moitié de son existence. Ce poème a été mûri par les tristes années qui ont suivi le 14 décembre, et l’on irait croire qu’une œuvre pareille est une imitation!»
«Onéguine, ce n’est ni Hamlet, ni Faust, ni Manfred, ni Obermann, ni Trenmor, ni Charles Moor; Onéguine est un Russe du temps de Nicolas; il n’était possible qu’en Russie; là il était nécessaire, et on l’y rencontrait à chaque pas. Onéguine, c’est un fainéant, parce qu’il n’a jamais eu d’occupation; un homme superflu dans la sphère où il se trouve, et qui n’a pas assez de force de caractère pour en sortir. C’est un homme qui tente la vie jusqu’à la mort et qui voudrait essayer de la mort pour voir si elle ne vaut pas mieux que la vie. Il a tout commencé, sans rien poursuivre; il a pensé d’autant plus qu’il a moins fait; il est vieux à l’âge de vingt ans, et il rajeunit par l’amour en commençant à vieillir. Il a toujours attendu, comme nous tous à cette époque, quelque chose, parce que l’homme n’a pas assez de folie pour croire à la durée d’un état de choses tel qu’il existait alors en Russie. Rien n’est venu, et la vie s’en est allée. Le personnage d’Onéguine était si national qu’il se rencontrait dans tous les romans et dans tous les poèmes qui ont eu quelque retentissement en Russie, non
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pas qu’on ait voulu le copier, mais parce qu’on le trouvait continuellement autour de soi ou en soi- même»52[52].
Tchatzki est un Onéguine raisonneur, son frère aîné; «Le Héros de nos jours», de Lermontoff, est son frère cadet. Même dans les productions secondaires, Onéguine reparaît, outré ou incomplet, mais reconnaissable. Si ce n’est lui, c’est au moins sa copie. Le jeune voyageur, dans le «Tarantass» du comte Sollogoub, est un Onéguine borné et mal élevé. Le fait est que nous étions tous plus ou moins Onéguine, à moins que nous n’ayons mieux aîmé d’être tchinovnik (employés) ou pomechtchik (propriétaires).
«La civilisation nous perd, nous désoriente, — disais-je alors. C’est elle qui fait que nous sommes à charge aux autres et à nous-mêmes, désœuvrés, inutiles, capricieux; que nous passons de l’excentricité à la débauche, dépensant sans regret notre fortune, notre cœur, notre jeunesse, et cherchant des occupations, des sensations, des distractions. Nous faisons tout: de la musique,

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