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Полное собрание сочинений. Том 33. Дополнения к изданию. Публичные чтения Г. Грановского

vient d’Italie et que je dois recevoir avant de m’en aller. Vous le connaissez peut-être, c’est Mordini, le ci-devant proconsul de Sicile.

— Beaucoup. Si vous le permettez, je l’invite.

— Cela me fera grand plaisir.

Je l’invitai avec Saffi, un de mes plus anciens amis italiens. L’impresario s’avança pour dire du’il n’y avait pas assez de place. Je priai en conséquence Saffi et Mordini de prendre le chemin de fer. J’aurais proposé la même chose à Garibaldi, mais comme je n’avais pas pris de mesures en conséquence, il aurait pu se faire qu’au débarcadère de Teddington nous ne trouvions pas de voiture, et je ne voulais pas le faire marcher jusque chez moi.

Enfin, au grand déplaisir de l’impresario nous sortîmes accueillis par les acclamations du peuple.

Menotti ne pouvait aller avec nous, il était ce jour-là avec son frère dans le parc de Windsor. On dit que la reine, seule personne de l’Angleterre qui n’avait pas le droit de voir Garibaldi, désirait rencontrer ses deux fils. Cette fois la part du lion n’appartenait pas à la reine.

III

CHEZ NOUS

Cette journée a réussi admirablement. Elle avait un fini étonnant, une plénitude et une sérénité auxquelles je ne suis plus habitué depuis une quinzaine d’années. Un jour plus tard et notre réunion n’aurait pas eu le même caractère. Un convive non italien de plus, et le ton n’eût pas été le même; au moins la crainte de le voir altéré l’aurait gâtée. Des journées pareilles représentent les cîmes de la vie, il n’y a rien au delà, pas plus que dans les sons d’une mélodie, dans l’aspect d’une fleur épanouie.

A partir du moment où disparurent Stafford-house, le suisse de son altesse ducale, les laquais et les Figaro… la disposition d’esprit changea, devint sereine, sérieuse, indépendante, et resta telle jusqu’au moment où Garibaldi choyé, pressé encore une fois par la foule, embrassé et embrassant, se mit en voiture et partit pour Londres.

Chemin faisant, nous parlâmes beaucoup sur tous les sujets possibles. Garibaldi dit entr’autres choses qu’il était bien étonné que les Allemands ne voulussent pas comprendre que dans la guerre actuelle, ce n’est ni leur unité, ni leur liberté qui auront le dessus, mais bien deux armées souveraines et despotiques, qui les subjugueront après la guerre. «Si le Danemark était soutenu,

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les forces de l’Autriche et de la Prusse engagées au Nord, que ne pourrait-on pas faire sur le littoral opposé?.. 11[11]»

11[11] Cette opinion énoncée par Garibaldi est la même que Charles Vogt a développée dans sa remarquable brochure.

Je lui fis observer que les Allemands sont des nationalistes exagérés, qu’on leur a fait la réputation de cosmopolites, parce qu’on ne les connaissait que dans les livres et par les livres. Ils sont chauvins comme les Français les plus Français, mais les Français savent qu’on les craint. Les Allemands, au contraire, ne jouissent pas de beaucoup de considération, et cela les met en fureur. «Croyez-vous qu’il y ait des Allemands qui voudraient sincèrement vous ouvrir Venise et le quadrilatère? Peut-être encore Venise, son nom aristocratique, le bruit qu’on en a fait… mais parlez-leur de Trieste, de la Posnanie. Les pays slaves leur sont nécessaires pour les civiliser», etc.

Je lui dis enfin la réponse de Ledru-Rollin, en ajoutant que dans mon for intérieur je partageais parfaitement son opinion. «Certainement, il a raison, mille fois raison. Je n’y ai pas pensé; j’irai demain chez lui et chez Louis Blanc. Ne pourrait-on pas aller chez lui maintenant?»

Nous étions sur la grande route de Wansworth. Ledru-Rollin habite un quartier de Londres, derrière le Regent-Park. C’était certainement une distance de huit milles. A mon tour, je trouvai que c’était matériellement impossible.

…Et derechef, par moments, ses traits s’obscurcissaient et exprimaient une grande douleur. Il se taisait et regardait au loin comme s’il cherchait quelque chose à l’horizon. Je ne l’interrompis pas. Je le regardai en me disant: «Je ne sais pas s’il est le glaive du Seigneur, mais il est évident qu’il n’est ni guerrier de profession, ni général. Soldat et apôtre, il est prêt à combattre et à prêcher, prêt à donner son sang et le sang de ses fils pour son peuple, pour sa cause, prêt à porter des grands coups et à les recevoir, prêt à répandre dans l’air les cendres de ses ennemis et oubliant la victoire, prêt à jeter son glaive ensanglanté, avec le fourreau, dans les profondeurs de la mer…»

Et c’est précisément là ce que les masses ont compris. Par quoi? Comment? — Par la clairvoyance qui leur a fait comprendre le mystère incompréhensible de la rédemption, et qui leur a fait saluer le gibet d’un homme exécuté. Pour eux, comprendre c’est croire, et croire c’est adorer.

C’est ce que toute la population pauvre de Teddington a fait. Lorsque nous arrivâmes à la porte du jardin, il n’y avait pas moyen de passer. La foule se jeta sur lui, le cerna, le pressa en criant: «God bless you. God bless you, Garibaldi». Des femmes soulevaient leurs enfants en s’approchant de lui pour qu’il les touchât;

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des femmes (je l’ai vu de mes propres yeux) lui baisaient les mains en pleurant. Garibaldi souriait, priait qu’on ne le renversât pas, serrait lui-même les mains à tout le monde: il était là comme un patriarche dans sa famille. A peine entré, il sortit encore une fois sur le vestibule et, les mains sur la poitrine, remercia la foule qui continuait à l’acclamer.

Il est bien difficile de faire comprendre aux gens nés dans les chancelleries, élevés dans les antichambres, le motif de cet accueil enthousiaste, que l’on faisait partout à ce flibustier, fils d’un marin de Nice, à ce soldat rebelle. Qu’a-t-il fait pour le peuple anglais? Les braves gens cherchent, cherchent dans leur tête la véritable vérité, le mot de l’énigme, et trouvent enfin, comme le journaliste moscovite, que «tout cela était préparé sous main par le ministère actuel, qui est passé maître dans l’art d’arranger les démonstrations».

Je le crois, il est très probable même que le batelier de la Chiaja12[12] qui portait le médaillon de Garibaldi sur sa poitrine avec celui de la madone, était gagné par le parti Siccardi et le ministère Venosta!..

A dire vrai, m’est avis que le jeu de joueurs tels que Palmerston, Gladstone et compagnie, n’est pas facile pour nos publicistes moscovites, et pourtant ils pourraient réussir à le deviner par l’effet de cette sympathie qu’une petite araignée, par exemple, peut éprouver pour nos énormes tarentules; mais quant au secret du tripotage qui se cache au fond de la réception de Garibaldi, voilà qui est trop fort pour eux. Et c’est très heureux. S’ils comprenaient une fois ce grand mystère, ces policemen de notre littérature, il ne leur resterait qu’à aller se pendre au premier arbre. Les punaises ne peuvent vivre confortablement et être heureuses qu’autant qu’elles ne soupçonnent pas leur odeur. Malheur à la punaise qui s’aviserait de s’adapter un nez humain.

Mazzini arriva immédiatement après Garibaldi. Nous allâmes tous à sa rencontre. Le peuple l’acclamait; en général le peuple anglais connaît peu Mazzini, mais les hommes du peuple qui le connaissent éprouvent pour lui la même sympathie qu’ils éprouvaient pour Kossuth. La peur des conspirateurs, des agitateurs et des complots, ne commence qu’aux shopkeepers et aux petits propriétaires.

Une fois assis à table, Mazzini se leva et dit, au milieu d’un silence profond:

«Mon toast comprendra tout ce que nous aimons et tout ce pour quoi nous combattons:

A la liberté des peuples!

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A l’association des peuples!

A l’homme qui, par ses actions, est l’incarnation vivante de ces grandes idées!

A Joseph Garibaldi!

A la pauvre, sainte, héroïque Pologne, qui, depuis plus d’une année, combat en silence et meurt pour la liberté!

A la nouvelle Russie qui, sous la devise Terre et Liberté, tendra, dans un jour rapproché, une main de sœur à la Pologne pour la défense de la liberté et de l’indépendance et effacera le souvenir de la Russie du tzar!

12[12] Voir: «Lettre de Naples», à l’Appendice.

Aux Russes qui, notre ami Herzen en tête, ont le plus travaillé à l’éclosion de la nouvelle Russie!

A la religion du devoir qui nous fera lutter jusqu’à la mort pour que toutes ces choses s’accomplissent!»

Garibaldi se leva et répondit en tenant à la main un verre de marsala:

«Je vais faire une déclaration que j’aurais dû faire depuis longtemps: il y a ici un homme qui a rendu les plus grands services à mon pays et à la cause de la liberté. Quand j’étais jeune et que je n’avais que des aspirations vagues, j’ai cherché un homme qui put me conseiller et guider mes jeunes années; je l’ai cherché comme l’homme qui a soif cherche l’eau. Cet homme, je l’ai trouvé; lui seul a conservé le feu sacré, lui seul veillait quand tout le monde dormait. Il est devenu mon ami et l’est toujours resté, jamais ne s’est éteint en lui le feu sacré de l’amour de la patrie et de la liberté.

Cet homme, c’est Joseph Mazzini.

— A mon ami, à mon maître!»

Après un instant de silence, Garibaldi s’est levé de nouveau et a repris:

«Mazzini a dit à propos de la malheureuse Pologne quelques paroles qui sont l’expression parfaite de mes propres sentiments. A la Pologne, patrie des martyrs, à la Pologne qui marche à la mort pour l’indépendance, au pays qui donne un sublime exemple aux peuples!

Buvons maintenant à la jeune Russie qui souffre et qui lutte comme nous, au nouveau peuple qui, une fois libre et maître de la Russie du tzar, est appelé à jouer un grand rôle dans les destinées de l’Europe!

A l’Angleterre enfin, à ce pays de l’indépendance et de la liberté, qui par son hospitalité et sa sympathie pour les bannis, mérite toute notre reconnaissance. A l’Angleterre, à qui nous devons le

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