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Полное собрание сочинений. Том 33. Дополнения к изданию. Публичные чтения Г. Грановского

bonheur de nous trouver réunis»…

La voix émue de Garibaldi, la profonde sincérité avec laquelle il venait de parler de Mazzini, la solennité que ses paroles empruntaient à la série d’événements qui les avaient précédées,

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frappèrent tout le monde au point que personne ne répondit rien; le silence était absolu, les dames avaient les larmes aux yeux, les serviteurs mêmes s’arrêtèrent, le plat en main, pour écouter avec recueillement, comme si chacun avait la conscience que les paroles qui tombaient dans ce petit salon allaient être inscrites dans l’histoire.

Mazzini lui donna la main et répéta deux fois: «C’est trop! c’est trop!» Moi je m’approchai de lui, le verre à la main, et je lui dis que son toast parviendrait aux mines de la Sibérie et jusque dans les casemates où sont enfermés nos amis, et je le remerciai en leur nom!

Après le déjeuner, nous passâmes dans une autre pièce. Dans le corridor, il y avait quelques personnes qui s’étaient introduites pour voir Garibaldi, et je vis parmi elles un vieillard boiteux, émigré italien depuis trente ans, pauvre confiseur, qui travaillait chez le restaurateur qui avait fourni le déjeuner. Il me faisait des signes pour lui frayer le passage et le présenter à Garibaldi. Saisissant sa main, le vieillard dit en fondant en larmes: «Maintenant je mourrai tranquille, je l’ai vu, je l’ai vu», et il couvrait la main de Garibaldi de baisers. Garibaldi embrassa le vieillard avec tendresse.

Tout habitué qu’il était à de pareilles démonstrations, Garibaldi, touché, ému, entra au salon et s’assit sur un petit sofa, et de nouveau des nuages noirs couvrirent son visage. Cette fois, il ne put se contenir et dit: «Parfois un sentiment étrange de crainte s’empare de moi, c’est un sentiment si pénible que j’ai peur d’en perdre la tête. Il y a trop de bonheur; la réception du peuple anglais a surpassé mon attente. Ah! comme je me rappelle les journées qui ont suivi mon retour d’Amérique à Nice, lorsque je revis enfin la maison paternelle, lorsque j’y retrouvai ma famille, mes anciennes connaissances, les endroits que je connaissais si bien; j’étais si heureux, si heureux! Vous savez, dit-il en se tournant vers moi, — tout ce qui est arrivé après. Qu’est-ce qui m’attend maintenant?»

Je n’avais pas un mot de consolation à lui adresser. Je tremblais intérieurement moi-même devant cette question: «Qu’est-ce qui l’attend?»

Il était temps de partir, Garibaldi se leva, m’embrassa, prit congé, et encore une fois la foule se pressa sur ses pas; les «hour-rahs!», retentirent mêlés de: «God bless you! Garibaldi, for ever!» Et la voiture disparut.

Tout le monde resta dans une disposition solennelle et pensive, comme si l’on venait d’assister à un service divin. Tout le monde récapitulant les détails de cette visite, revenait involontairement à la formidable question qu’il nous avait posée: «Qu’est-ce qui l’attend?»

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Bientôt après Mazzini partit à son tour. Nous restâmes seuls avec deux ou trois amis intimes et la soirée commença dans une tranquillité profonde. Que de fois, mes enfants, j’ai regretté profondément que vous n’y fussiez pas. Cela fait du bien d’avoir à se souvenir d’une journée pareille; cela rafraîchit l’âme, fait notre paix avec le mauvais côté de la vie… de pareilles journées sont si rares!

Je me rappelai le lendemain que j’avais complètement oublié de proposer un toast. Le discours de Garibaldi en réponse aux paroles de Mazzini me semblait finir la fête. J’écrivis alors ces lignes à Garibaldi:

«Illustre ami,

J’étais trop ému hier pour vous dire ce que je voulais et je me suis borné à vous remercier au nom de la Russie qui germe, de la Russie vaincue et opprimée, comme la Pologne; de la Russie qui se meurt dans les casemates et en Sibérie; de la Russie qui existe dans les profondeurs silencieuses de la conscience du peuple et qui se réveille avec son propre idéal: Terre et Liberté; de la Russie enfin dont les fils ont été exilés pour avoir exprimé cette aspiration du peuple.

Nos amis lointains sauront vos paroles sympathiques. Ils en ont besoin; leurs souffrances ne sont pas parsemées de fleurs, et un reflet des crimes qui se commettent en Pologne, tombe sur nous tous.

Au fond je ne regrette pas de n’avoir ajouté que de simples remerciements. Qu’aurai-je pu dire? Porter encore un toast à l’Italie? Mais notre réunion n’était qu’un toast à l’Italie. Ce que je ressentais ne se concentre pas bien dans un toast: je vous regardais, je vous écoutais avec un sentiment de piété juvénile qui n’est plus de mon âge, et en vous voyant tous deux, vous les deux grands guides des peuples, saluant l’aurore de la Russie future, je vous bénissais tous les deux sous notre modeste toit.

Je vous dois le meilleur jour de mon hiver, un grand jour d’une étonnante sérénité. Le 17 avril sera une fête pour moi.

Permettez donc que je vous embrasse encore avec la plus ardente reconnaissance et avec une profonde et sincère vénération.

A. Her z en.

18 avril 1864.

Elmfieldhouse, Teddington. — S. W.»

IV

26, PRINCESS GATE

L’avenir prochain ne se fit pas attendre.

Comme dans les vieilles épopées, pendant que le héros dormait sur des lauriers, la vengeance, la discorde, l’envie, en costumes

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appropriés à leurs rangs, se concertaient dans quelque nuage obscur, pour lui faire une niche. C’est ainsi que l’on a agi avec «l’hôte de l’Angleterre». Seulement, la mise en scène a été adaptée à nos mœurs. Dans notre siècle civilisé, ces sourdes menées ne se font plus dans les nuages par des allégories, mais dans des salons bien éclairés par de simples humains qui ne sont pas suivis par des furies échevelées, mais par des laquais très bien poudrés. Les terribles décors des poèmes classiques et des pantomimes de Chrismas sont remplacés par un jeu plus simple et plus efficace. On n’a pas employé plus de sorcellerie et de magie que ne le fait l’honnête épicier qui jure sur son âme en vendant du cassis fait au gin, que c’est du véritable Old-Port, sachant très bien que personne ne le croit, mais aussi que personne ne s’avisera de lui faire un procès qu’on perdrait infailliblement.

Pendant que Garibaldi était à Teddington à causer tranquillement avec des amis, des conspirateurs se réunissaient pour comploter contre son séjour en Angleterre. Il fallait en finir avec cette visite qui devenait de plus en plus gênante. Quoique les conspirateurs fussent des hommes vieillis dans la diplomatie et l’intrigue, blanchis dans l’astuce et l’hypocrisie, pourtant ils n’employèrent pas plus d’art que l’honnête épicier qui vend de l’infusion de cassis pour de l’Old-Port…

…Jamais le ministère anglais n’a invité Garibaldi, jamais il ne s’est opposé à sa visite. Ce sont là des cancans des petits diplomates et des grandes feuilles politiques. Garibaldi a accepté l’invitation de ses amis anglais, pour mettre en avant la question italienne, pour réunir des fonds, entreprendre ensuite une campagne dans l’Adriatique et entraîner Victor-Emmanuel par la force du fait accompli.

On savait bien que le peuple anglais ferait une réception enthousiaste à Garibaldi, mais la tournure que les ovations prenaient et promettaient de prendre dans les grands centres, donnait de l’ombrage. Il y avait dans cette apothéose pour le héros révolutionnaire, comme un reproche comprimé, comme un blâme par ricochet.

Pour le moment l’aristocratie anglaise n’a rien à craindre de son Samson courbé sous le poids du travail forcé et, en général, ce n’est pas de la révolution européenne qu’elle a peur. Pourtant le caractère que prenait l’enthousiasme populaire à la réception de Garibaldi, lui était très peu agréable. Cette agitation toute pacifique qu’elle était, faisait sortir les ouvriers de l’ornière, les détournait des soins éternels du travail pour un morceau de pain, du «hard labor» auquel ils ont été condamnés, non par leur propre volonté, mais par celle de notre fabricant à nous tous (our Maker), le dieu de Shaftsbury, le dieu de Derby, le dieu du Southerland et Devonshire…

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Avec tout cela l’idée de renvoyer Garibaldi d’une manière discourtoise n’est jamais venue à la véritable aristocratie anglaise. Au contraire, elle voulait l’accaparer, l’absorber, le cacher du peuple par des nuages d’or, comme se cachait Junon lorsqu’elle faisait l’aimable avec Jupiter. Elle voulait le distraire, le nourrir, le désaltérer, l’occuper de manière, qu’il ne pût avoir un instant pour lui-même ou pour ses amis.

Garibaldi désirait de l’argent. Eh bien, que peuvent donner sur leurs épargnes ceux qui sont condamnés à la pauvreté par la sagesse du dieu de Shaftsbury, Derby et Devonshire? Nous lui réunirons, s’il le faut, un demi-million, un million de francs, nous lui donnerons le pari d’un cheval d’Epsom, nous lui achèterons l’autre moitié de Caprera, nous lui ferons cadeau d’un yacht, il aime tant la mer, et pour qu’il n’aille pas dépenser cet argent en bêtises13[13] (sous-entendu pour l’émancipation définitive de l’Italie), nous ferons un majorat, nous lui verserons la somme par annuités, comme on fait avec les mineurs ou les imbéciles. Tous ces plans s’exécutaient avec zèle et succès et pourtant Garibaldi, comme la lune par une nuit nuageuse, perçait par moments l’épaisseur des nuages, éclairait en plein… et disparaissait de nouveau.

Dans les autres villes le rôle pouvait bien changer.

13[13] Comme si Garibaldi voulait de l’argent pour lui-même! On se rappelle qu’il refusa la somme dès qu’il apprit ces conditions.

C’est alors que la providence envoya en aide à l’aristocratie les hommes d’affaires, les hommes d’Etat. Ceux-là, sans scrupules ni égards puérils, donnèrent une attitude tout autre à l’affaire. Eux, ils ne craignaient pas les démonstrations d’ouvriers, ils avaient d’autres soucis, — le voisin, les voisins, — et l’affaire de Stansfeld était si récente!

Par un hasard étonnant, précisément à la même époque, lord Clarendon éprouva le besoin de faire un pèlerinage aux Tuileries. Le besoin n’était pas grand, à peine parti, il revint.

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