sang, notre instinct, et nullement une autorité obligatoire. Nous sommes indépendants, car nous ne possédons rien, nous n’avons presque rien à aimer; il y a de l’amertume, de l’offense dans chacun de nos souvenirs: la civilisation, la science, on nous les a tendu au bout d’un knout.
Qu’avons nous donc à démêler avec vos devoirs traditionnels,
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nous, les mineurs deshérités? Et comment pourrions-nous franchement accepter une morale fanée, une morale ni chrétienne, ni humaine, existant seulement dans les exercices de rhétorique, et dans les réquisitoires des procureurs? Quelle vénération voudrait-on nous inspirer pour ce prétoir de votre justice barbaro-romaine, pour ces voûtes lourdes, écrasantes, sans air, sans lumière, rebâties au Moyen âge et replâtrées pour les affranchis du tiers-état? Ce n’est peut-être pas là le guet-apens des tribunaux russes, mais qui pourrait nous prouver que c’est de la justice?
Nous voyons clairement que la distinction entre vos lois et les oukases gît principalement dans la légende du préambule. Les oukases commencent par une vérité accablante: „Le tzar l’ordonne»; vos lois portent en tête le mensonge offensant de la triple devise républicaine, l’invocation ironique du nom du peuple français. Le code Nicolas est, dis-je, exclusivement contre les hommes et en faveur de l’autorité; le code Napoléon ne nous paraît pas avoir d’autre caractère. Nous traînons assez de chaînes que la force nous a imposées, sans les alourdir encore par d’autres dues à notre propre choix. Sous ce rapport, nous nous trouvons parfaitement les égaux de nos paysans. Nous obéissons à la force brutale; nous sommes des esclaves parce que nous n’avons pas le moyen de nous affranchir; toutefois, du camp ennemi nous n’accepterons rien.
La Russie ne sera jamais protestante.
La Russie ne sera jamais juste-milieu.
La Russie ne fera pas de révolution dans le seul but de se défaire du tzar Nicolas, et d’obtenir, pour prix de sa victoire, des représentants tzars, des tribunaux tzars, une police tzar, des lois tzars.
Nous demandons trop, peut-être, et si nous ne parviendrons à rien? C’est possible, mais nous ne désespérons pas; la Russie, avant 1848, ne pouvait, ne devait pas entrer dans la phase révolutionnaire; elle n’avait qu’à faire son éducation, et elle l’a faite en ce moment. Le tzar lui-même s’en aperçoit; aussi assomme-t-il, à coup de massue, les universités, les idées, les sciences, s’efforce-t- il d’isoler la Russie de l’Europe, de tuer la civilisation: il fait son métier.
Réussira-t-il?
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Je l’ai dit ailleurs: il ne faut pas se fier aveuglement à l’avenir; chaque fœtus a le droit au développement, mais chaque fœtus ne se développe pas pour cela. L’avenir de la Russie ne dépend pas d’elle seule; il est lié à celui de l’Europe entière. Qui pourrait prédire le sort du monde slave, lorsque la réaction et l’absolutisme auront vaincu la révolution en Europe?»
Le Lloyd parlant d’une de mes brochures allemandes, m’appelle un Jérémie russe pleurant sur les barricades de Juin, et ajoute que mon livre est très intéressant dans le genre d’un fait pathologique tendant à montrer tout le dégât que peuvent produire la philosophie allemande et la Révolution française dans un cerveau russe.
Eh bien, j’accepte tout cela.
Oui, j’ai pleuré sur les barricades de Juin, chaudes encore de sang, et je pleure maintenant lorsque je pense à ces journées maudites, au triomphe des cannibales de l’ordre. Je serais très heureux si mes lettres pouvaient être utiles à l’étude de la pathologie de la Révolution, et mon but sera complètement atteint si elles font voir comment les derniers éclairs révolutionnaires se reflètent dans un cerveau russe.
C’est de ce triple point de vue, citoyen rédacteur, que je vous offre mes autres lettres.
Je vous salue fraternellement, Londres, 7 février 1854.
A. Herzen.
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<ОТКРЫТОЕ ПИСЬМО ШАРЛЮ РИБЕЙРОЛЮ>
Citoyen rédacteur,
Je vous envoie pour votre almanach de la scolastique révolutionnaire quelques nouvelles variations sur les thèmes, très vieux. Je vous aurais envoyé quelque chose de plus actuel — mais il est impossible de se faire entendre maintenant lorsqu’on parle du monde slave. La guerre grise, la fumée du sang des victimes tombées monte et étend devant les yeux un voile rouge qui empêche de voir.
J’ai tenté de continuer quand-même à parler de la Russie comme je le faisais antérieurement — applaudi par la presse radicale en Europe et en Amérique. L’essai ne m’a pas réussi. On s’est indigné qu’un réfugié russe ait la scélératesse d’aimer le peuple russe, de ne pas le confondre avec le gouvernement [féroce] monstrueux de Pétersbourg et de penser même que le monde slave a un avenir.
A-t-on jamais vu qu’on ait exigé d’un réfugié quelconque qu’il haïsse non son gouvernement — mais son peuple?
J’avais raison en disant dans une lettre publiée dans l’Homme que notre position était exceptionnelle. A vous, on vous vole le présent, à nous, on nous interdit même l’espérance. Est-ce toujours au nom de la solidarité et de la fraternité des peuples, qu’on excommunie, qu’on met hors la loi du progrès quatre-vingt millions de Slaves?
Une voix s’éleva protestant énergiquement contre cette injustice — c’était la voix d’un de ceux qui ont le droit de nous haïr, la voix d’un Polonais. Nos frères polonais comprennent très bien d’où vient notre amour pour le peuple et quelle est la haine que nous portons au tzarisme. J’avais les larmes aux yeux
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[Je cède à la force majeure, la guerre oblige — au silence.]
En attendant, je pense qu’il sera permis de faire de la science, de l’abstraction, de la dogmatique socialiste, du doctrinarisme révolutionnaire.
Je vous salue fraternellement.
A. Herzen.
19 novembre 1854.
Twichenham.
Au citoyen Ch. Ribeyrolles.
посылаю для вашего альманаха революционной схоластики несколько новых вариаций на весьма старые темы. Я послал бы вам что-нибудь посовременней — но заставить слушать себя теперь, когда говоришь о славянском мире, — невозможно. Война пьянит, пар от крови падших жертв вздымается вверх и расстилает перед глазами багровую пелену, мешающую видеть.
Я пытался все же продолжать говорить о России, как делал это ранее, приветствуемый радикальной печатью в Европе и Америке. Опыт этот мне не удался. Возмутились тем, что русский изгнанник возымел наглость любить русский народ, не смешивать его с [свирепым] чудовищным петербургским правительством и думать даже, что у славян есть будущее.
Но виданное ли дело — требовать от какого-либо изгнанника, чтоб он ненавидел не свое правительство, а свой народ.
Я был прав, говоря в письме, опубликованном в «L’Homme», что мы находимся в совершенно исключительном положении. У вас похищают настоящее, нам же запрещают даже надежду. Уж не по-прежнему ли во имя солидарности и братства народов отлучают, ставят вне законов прогресса восемьдесят миллионов славян?..
Один голос раздался, энергично протестуя против этой несправедливости, — то был голос одного из тех, кто имеет право ненавидеть нас, — голос поляка. Наши польские братья прекрасно понимают, откуда проистекает наша любовь к народу и какова ненависть, питаемая нами к царизму. На глазах моих были слезы, когда я читал брошюру Свентославского…
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[Я уступаю чрезвычайным обстоятельствам, война обязывает к молчанию.]
Пока же, полагаю, нам позволено будет заниматься наукой, отвлеченными материями, социалистической догматикой, революционным доктринаризмом.
Братски приветствую вас.
А. Герцен.
19 ноября 1854.
Twickenham.
Гражданину Ш. Рибейролю.
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КАТОЛИЧЕСКАЯ ПРОПАГАНДА НАЗИМОВА
Св. Митрофаний Воронежский не дает спать генерал-губернатору Назимову, и это не гипербола. Он начинает канонизировать святых — только католических. Он до того теснит полицейскими и всякими мерзкими средствами униат, что доводит их до героизма, до мученичества, до того, что католики их должны считать святыми. Протопоп Суханов и прочая духовная полиция помогает ему.
Не хотите ли, чтоб мы рассказали историю, бывшую в Ковенской губернии месяц тому назад?
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<ОТКРЫТОЕ ПИСЬМО ЖЮЛЮ БАРНИ Mon cher Monsieur Barni, Ogareff m'a communiqué votre bonne et amicale invitation, et cela au moment où j'allais vous écrire. J'ai beaucoup réfléchi si j'irais ou non à Genève pour le 9, et j'ai un besoin sérieux de vous expliquer mon absence. Il y a beaucoup de motifs qui me retiennent, je m'en vais vous dire franchement le plus grave. Que je sois avec vous, avec le Congrès, vous le savez; ma signature a été une des premières sur la liste. Ma présence muette n'ajoutera pas beaucoup à cette adhésion... donc il faut parler. Et que dirai-je au Congrès! Notre position est devenue très difficile. Il faut remettre la question de la Russie à sa place avant de parler, comme Russe, de la paix et de la guerre, avant de prendre une part active à une démonstration de la démocratie européenne — que fait des exceptions qui nous honorent pour les personnes — mais regarde avec défiance la cause que nous représentons. Ce n'est pas à un Congrès de paix que nous pouvons discuter et plaider notre cause. Nous pensons très sérieusement mettre encore une fois cette question sur le tapis, dans un recueil que nous voulons publier en français (Ogareff et moi). Voilà, cher Monsieur Barni, mes excuses; communiquez-les à ceux de vos amis qui se souviennent de moi, et recevez mes désirs sincères pour la réussite la plus large, la plus grande et la plus pratique de l'œuvre que vous inaugurez. Alexandre Herzen. Nice, 3 septembre 1867. 512 ПЕРЕВОД Мой дорогой господин Барни, Огарев мне передал ваше любезное и дружеское приглашение, и это как раз в тот момент, когда я собирался вам писать. Я долго размышлял, ехать мне в Женеву к 9 или нет, и у меня есть серьезное намерение объяснить вам свое отсутствие. Есть много причин, которые меня удерживают, я чистосердечно открою вам наиболее важную. То, что я с вами, с конгрессом, вы об этом знаете — моя подпись была одной из первых в списке. Мое пассивное присутствие не много прибавит к этому согласию... но ведь нужно говорить. А что я скажу конгрессу! Наше положение вновь стало очень трудным. Необходимо снова поставить вопрос о России на свое место, прежде чем говорить как русскому о мире и войне, прежде чем принять деятельное участие в какой-либо демонстрации европейской демократии, которая, хотя и делает исключение, оказывая честь лично нам, но смотрит с недоверием на то дело, которое мы представляем. Конгресс мира — это