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Полное собрание сочинений. Том 33. Дополнения к изданию. Публичные чтения Г. Грановского

par tout autre motif? Qui sait? Toujours est-il qu’on ne les traduit pas sur la scène, qu’on ne les peint pas dans les romans, et pourtant ils ne ressemblent en rien à leurs pères et sont tout autres que les acteurs contemporains «du calendrier de la cour».

Du temps de Catherine II, il s’était formé dans les hauts parages de la société, non une aristocratie, mais une certaine seigneurie de service, altière, orgueilleuse, ignorante, et nouvellement apprivoisée. De 1725 à 1762, ces gens de cour prirent part à toutes les chutes, à tous les avènements. Ils disposèrent en maîtres

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de la couronne russe, tombée dans la boue finnoise, sachant bien que les pieds du trône de Pétersbourg n’étaient pas trop solides, sachant bien aussi que, si la forteresse de Pierre et de Paul était voisine du Palais, Pelym et toute la Sibérie n’en étaient pas loin non plus.

Cette foule mutine de hauts dignitaires, aidés par les officiers séditieux de la garde impériale, par un couple d’intrigants allemands, mettaient sur le trône à leur choix celui qu’ils voulaient, tout en gardant envers le souverain un air de soumission inaltérable et de dévouement sans bornes. Après avoir disposé de la couronne, à leur profit, ils faisaient savoir au peuple de la capitale et des autres villes de l’empire ce qui s’était passé, qui était maintenant tzar et qui ne l’était plus. Au bout du compte le peuple ne pouvait prendre grand intérêt à connaître précisément le nom de celui qui tenait le knout, le sceptre toujours si fermement tenu.

La princesse d’Anhalt-Zerbst, promue par les comtes Orloff au rang d’impératrice de toutes les Russies, joignant à l’art de la femme l’astuce de la courtisane, coupa les cheveux à ces seigneurs insolents et endormit leurs élans farouches. Dans cet entourage de Catherine II, dans ces ours efféminés il y avait un mélange de l’élément boyard patriarcal, antédiluvien, avec l’élément poudré de Versailles.

Ils avaient, ces sauvages, la morgue inabordable de l’aristocratie européenne, la soumission des serfs de l’Orient, l’humeur turbulente des hetmans de cosaques, l’effronterie des pandours et l’astuce des diplomates. Ces hommes étaient arrogants en russe et impertinents en français. Ils n’étaient polis qu’avec les étrangers; avec nous autres, il n’étaient que condescendants. Bornés et bouffis de leur importance, ces êtres étonnants gardaient en eux un certain sentiment de dignité; ils aimaient sincèrement, «la mère impératrice» et «la sainte Russie». Catherine II les ménageait et écoutait avec la plus grande condescendance leurs conseils, sans jamais les suivre, bien entendu.

Le siècle lourd et imposant de ces vieux seigneurs couverts de poudre et de tabac à priser, de ces sénateurs, chevaliers de l’ordre de Saint-Vladimir et de Saint-André, de ces hommes à la longue canne à pomme d’or suivis de géants habillés à la hussarde et paradant derrière leurs voitures, le siècle de ces vieillards, dis-je, qui parlaient un peu du nez et en élevant la voix, fut soudainement clos par l’avènement au trône de Paul Ier.

Paul, vingt quatre heures après la mort de sa mère, métamorphosa le sérail masculin, aphrodisiaque, splendide, qu’on appelait le Palais d’hiver, et en fit un corps de garde, une prison, une maison de correction, un «Exerzierhaus», un bivouac de police, une caserne. Paul était un homme tombé en sauvagerie à Gatchina.

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A peine gardait-il quelques idées romanesques de la chevalerie. C’était un tigre du Bengal avec des accès de tendresse amoureuse; toujours irrité et toujours intraitable, il eût été nécessairement logé dans une maison de fous, s’il n’eût été placé sur le trône impérial.

Il les accomoda vertement ces vieux seigneurs, habitués à des égards respectueux, à la solennité du repos. Paul n’avait besoin ni d’hommes d’Etat, ni de sénateurs; il avait besoin de sergents-majors et de caporaux. Ce n’est pas en vain qu’il avait passé une vingtaine d’années dans sa triste campagne à enseigner à un régiment de troglodytes un nouveau maniement des armes et une théorie entière de salutations militaires. Il voulait, c’était naturel, appliquer l’exercice qu’il avait lui-même inventé à Gatchina, au maniement des affaires et gouverner l’empire en douze temps, comme on charge le fusil.

Jamais l’absolutisme, même en Russie, ne s’était montré sous une forme si simple et si naïve; c’était un délire, une fièvre ardente, un chaos. La soldatomanie de Paul, qu’il légua à tous ses enfants, allait jusqu’au ridicule, jusqu’à l’absurde — jusqu’au tragique. Figurez-vous ce Quasimodo couronné versant des larmes et battant des mains, avec une joie spasmodique, lorsque les soldats emboitaient bien le pas.

Les cruautés de Paul ne se justifient pas; même par les raisons d’Etat. Son despotisme avait le caractère d’une véritable démence. Qui sont ceux qu’il torturait, qu’il exilait en masse avec son procureur général Obolianinoff? Le monde entier l’ignore.

Quoi qu’il en soit, les seigneurs s’en émurent. Ils virent bien qu’ils étaient des serfs exilables et emprisonnables à merci; qu’ils dépendaient des caprices du tzar, comme les paysans des leurs. Ils regardèrent avec terreur les mauvaises plaisanteries de Sa Majesté… — tantôt l’un en Sibérie, tantôt l’autre… Ils commencèrent donc à faire leurs malles sans beaucoup de bruit et puis partirent, qui sous un prétexte, qui sous un autre, dans leurs lourdes voitures, attelées de chevaux de paysans, pour Moscou ou pour les terres à eux, gracieusement octroyées par la défunte impératrice. Alexandre se garda de les faire sortir de cet exil bénévole, l’empereur ne crut pas nécessaire de les inquiéter dans leur vieillesse et les laissa tranquillement sommeiller dans leurs biens où ils s’arrangèrent de petites cours, à l’instar de celle de Catherine II.

La jeune génération, fouettée par l’âpre bise du régime de Paul, était gaillarde et éveillée. C’est d’elle que s’entoura Alexandre. Les événements se chargèrent de son éducation. Ce n’est pas une bagatelle qu’Austerliz, Eylau, Tilsit, 1812, Paris à Moscou et Moscou à Paris.

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Les ci-devant officiers de la garde vinrent à la cour avec le grade des généraux. Les dangers, les revers, les victoires, le contact avec la grande armée, la vie à l’étranger, tout cela leur avait formé un caractère à eux. Courageux, bons enfants, francs, généreux, ces hommes avaient le fanatisme de la discipline, la religion des uniformes boutonnés, mais ils avaient aussi la religion de l’honneur. Ils gouvernèrent la Russie jusqu’à ce que fut poussée la nouvelle génération des militaires civils et des élèves militaires, élevée par Nicolas.

Non seulement ils occupèrent toutes les charges militaires, mais encore les neuf dixièmes de tous les emplois civils; sans avoir la moindre connaissance du maniement des affaires, signant les papiers sans les lire ou ne les signant pas du tout. (Les affaires n’allaient pas plus mal pour cela.) Ils aimaient le soldat et le faisaient battre à chaque occasion, non par férocité, mais parce que l’idée ne leur est jamais venue qu’on puisse former un soldat sans le faire battre. Ils dépensaient des sommes folles, et comme ils n’avaient jamais assez d’argent, ils prenaient sans se gêner celui de l’Etat. Escamoter un chien, ne pas rendre un livre, ce n’est pas un vol dans de certains pays. — En Russie on n’est pas scrupuleux en matière de deniers publics; c’est là un sentiment national. — D’un autre côté, ces hommes n’étaient ni dénonciateurs, ni inquisiteurs et défendaient avec acharnement leurs subordonnés.

L’un des types les plus accomplis de ce genre était le comte Miloradovitch, téméraire, brillant, indomptable, sans soucis, bavard, dameret, dissipateur, endetté, dix fois racheté par l’empereur Alexandre, et toujours sans le sou; c’était l’homme le plus aimable du monde, l’idole des soldats, un excellent gouverneur général de Pétersbourg, sans avoir jamais connu une seule loi. — Miloradovitch a été, par une étrange fatalité, tué le jour de l’avènement au trône de l’empereur Nicolas. Lorsqu’on apporta le général blessé, sur la place d’Isaak, dans les casernes de la garde à cheval, alors que le docteur Arendt, après avoir visité la blessure, se préparait à retirer la balle, Miloradovitch lui dit: «Par ma foi, mon cher docteur, j’ai assez vu de blessures; celle-là est mortelle; mais si vous voulez, par acquit de conscience, qu’on retire la balle, faites appeler mon vieux chirurgien. Il m’était fort attaché! Cela le chagrinera, par ma foi, si un autre que lui me fait l’opération. Effectivement, on alla chercher le vieux chirurgien qui, en sanglotant, retira la balle. Après l’opération, l’aide-de-camp demanda au comte s’il ne voulait pas faire quelques dispositions. — Miloradovitch fit de suite appeler un notaire. Le notaire venu, ne sachant que lui dicter, il réfléchit et finit par lui dire: «Par ma foi, c’est chose difficile; mais enfin, il faut en finir. Faites légalement ce que

la loi exige». — «Mais n’avez-vous rien de particulier, général?» — demanda le notaire. — «Rien; pourtant, si fait, écrivez: il y a un jeune homme, le fils d’un de mes vieux camarades, un bon sujet, mais une tête chaude; il me semble que je l’ai vu parmi les insurgés. Ecrivez donc que le général Miloradovitch, en mourant, demande sa grâce à l’empereur… Par ma foi, je n’ai absolument plus rien à vous dicter».

Il mourut ensuite et fit bien…

Le règne prosaïque, brumeux, automnal de Nicolas, n’avait pas besoin de ces hommes qui, blessés à mort, se rappelaient un vieux chirurgien agonisant, et ne savaient écrire dans leur testament autre chose qu’une demande en grâce pour un insurgé. Ces gens sont peu maniables. Ils ont le parler trop haut, fort trop de tapage, répliquent, agissent à leur guise. Il est vrai qu’ils versent leur sang jusqu’à la dernière goutte et servent sous les armes jusqu’à la mort; mais heureusement alors on ne prévoyait d’autre guerre qu’une guerre à l’intérieur, et c’est nommément pour celles-là que ces hommes sont incapables.

On raconte que le comte Benkendorf, chaque fois qu’il entrait, et

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par tout autre motif? Qui sait? Toujours est-il qu'on ne les traduit pas sur la scène, qu'on ne les peint pas dans les romans, et pourtant ils ne ressemblent en