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Полное собрание сочинений. Том 33. Дополнения к изданию. Публичные чтения Г. Грановского

il entra une dizaine de fois par jour, durant une vingtaine d’années, dans le cabinet de l’empereur, pâlissait en entrant. C’était le type de ceux qu’il fallait au nouveau souverain. Il avait besoin d’agents et non d’auxilières, d’exécuteurs et non de conseillers, d’ordonnances et non de généraux. Il n’a jamais su que faire du général le plus intelligent de tous les généraux russes, Iermoloff, et il l’a laissé mourir dans l’inactivité à Moscou.

Il a fallu beaucoup d’effort, de temps, de persistance, de triage, pour éduquer la race des employés contemporains, cette race de clercs portant sabre et plume, de généraux de maréchaussée, de tous ces commissaires reviseurs, correspondants et espions déguisés sous des dénominations plus ou moins atténuantes.

La meule du maître Nicolas a moulu, pulvérisé, usé tout ce qui restait de bon, hommes et choses, du temps d’Alexandre. Elle a moulu la Pologne entière. Elle moud les provinces Baltiques, si dévouées, et la Finlande si malheureuse, elle moud toujours… elle moud encore…

LETTRE A GARIBALDI

C’est que le père avait le mal de l’absolutisme, delirium tyrannorum. Chez le fils, dégénéré à l’état chronique, ce mal fut transformé en une fièvre lente, la malaria du despotisme. Le père avait été pris d’un tel accès, que n’ayant pu tordre le cou à la Russie, il mourut le cou tordu par elle. Le fils serre son noeud peu à peu, sans trop d’éclat; aujourd’hui pas de passeport, demain pas d’école, après — demain pas de livres; aujourd’hui quelques Russes pendus, demain quelques Polonais fusillés. L’haleine nous manque, nous suffoquons et nous n’avons plus d’air, et il serre toujours depuis 27 ans et jusqu’ici, grâce à Dieu, se porte à merveille.

Cher et vénérable ami, cher maître — je vous appellerai comme vous voudrez, permettez-moi seulement de ne pas ajouter à votre nom le mot de Général; ce titre est tellement au-dessous de vous, que ma plume se refuse à vous le donner, et que je renoncerais au plaisir de vous écrire plutôt que de vous appeler Général.

Je me proposais d’aller vous voir, d’aller vous serrer la main avec respect et profonde sympathie, car on m’a dit que vous ne m’aviez pas oublié, mais les circonstances ne me l’ont pas permis. Je quitte l’Italie dans quelques jours et je veux profiter de la visite que vous fait un de nos amis, pour vous demander la permission de vous faire la mienne par écrit.

J’ai des raisons particulières pour cela. La lutte sombre et farouche avec la Pologne a dévoilé une fois de plus tout ce qu’il y a de féroce et d’inhumain dans le gouvernement de Saint-Pétersbourg. — Chaque fois que le Palais d’hiver se laisse aller aux horreurs et aux carnages, il y a un reflet de sang qui tombe sur nous. Nous subissons cette solidarité imméritée, avec douleur mais sans protester. Malheureusement il y a plus encore. Les atrocités du gouvernement, les cris d’un journalisme vil et débauché, les applaudissements d’une foule corrompue ou abusée, font penser que le mouvement russe en général n’a été qu’une fiction, une déception préméditée, ou le rêve d’un esprit fantasque et malade. Il nous est impossible de tolérer cela. Nous nous sentons trop vivants pour nous laisser enterrer ainsi. Et je vous écris aujourd’hui pour constater que nous ne sommes pas morts, que le mouvement russe n’est pas écrasé, et que la nature de ce mouvement est telle qu’aucune force ne saurait l’écraser.

J’ai un besoin passionné de vous dire cela à vous qui êtes l’homme des peuples. Vous comprenez les masses, telles qu’elles sont, telles que l’histoire les a faites, sans toge romaine, sans civisme de parade, il est tout naturel que les masses aient fait de vous leur patron, leur saint, qu’elles aient pris votre chemise

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rouge pour en faire leur Camicia Santa — il est tout naturel aussi que la femme, cet autre peuple, avec sa clairvoyance de coeur, ait presque partout ôté son corsage et l’ait remplacé par la cbemise du champion de l’indépendance. Après la transfiguration du gibet romain en crucifix je ne connais pas de triomphe plus grand. Or, l’homme de «la camicia santa» n’a pas le droit d’ignorer ce qui se passe dans les profondeurs, dans les ténèbres de cette mer inconnue, qui débordant d’un côté dans les vallées de l’Asie orientale est bornée de l’autre par la Prusse et l’Autriche.

On sait bien que le peuple russe est sorti de son état de torpeur apparente, que la guerre de la Crimée l’a réveillé, que depuis ce temps une agitation sourde se fait sentir dans la chaumière et dans le palais, dans les steppes et dans les villes, enfin que le gouvernement réforme quelque chose et que le peuple aspire à quelque chose. Mais on ignore ce que veut ce peuple et où il va. Veut-il reconquérir sa liberté, son indépendance, rétablir comme la Pologne, son passé glorieux? Non. Le peuple russe n’a jamais possédé la liberté et n’a jamais perdu son indépendance; il n’a rien à reconquérir, rien à évoquer de son passé brumeux; ce que le passé lui a légué est entré dans son sang; ce ne sont ni des souvenirs, ni des institutions, ce sont des éléments, c’est-à-dire une nationalité fortement caractérisée, le sentiment de sa force, une conception originale du droit à la terre. C’est tout, si nous y ajoutons encore l’audace et la confiance en soi-même, et le courage de l’espérance dans le malheur. Le reste n’est que l’échafaudage d’un empire artificiel et exotique qui a fait son temps.

Le droit à la terre, cette religion sociale du peuple russe, consiste dans l’admission du droit imprescriptible, inaliénable, de posséder un lot de terre lorsqu’on est membre d’une commune. Si l’on se rappelle que c’est par une colonisation consécutive et par l’absorption des aborigènes finnois plutôt que par la conquête, que les territoires qui composent la Russie proprement dite ont été acquis, et si l’on se souvient aussi qu’une fois installés les colons n’ont jamais été conquis (la conquête des Mongols, n’ayant point touché à la vie intérieure ni aux conditions sociales), on comprendra facilement l’origine du droit à la terre. Il a survécu à toutes les vicissitudes, et à peine un souffle de vie s’est-il fait sentir, que la première question a été naturellement celle de l’émancipation avec la terre. Il est aussi impossible de prendre la terre aux paysans russes, que de prendre la mer aux lazzaroni; — les lazzaroni, comme l’a dit un de nos compatriotes, ont leur droit à la mer, et ils y tiennent.

Cependant la propriété foncière tend perpétuellement en Russie à se morceler entre les mains des particuliers ou à se concentrer dans les mains du gouvernement. Heureusement une grande

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partie des terres est encore restée le patrimoine inaliénable des communes, mais il n’en est pas moins évident qu’il faut en finir avec ce double danger et éviter d’un côté le gouffre du prolétariat qui tôt ou tard engloutira toute la civilisation des beati possidentes, de l’autre le communisme gouvernemental qui, effaçant l’individualité, ferait de chaque homme un condamné aux travaux forcés. Pour trouver la diagonale, nous avons deux guides, les coutumes, la manière d’être et de faire de la commune rurale, et la science économique, la science sociale, telle que l’Occident l’a élaborée sans la réaliser. Or, la commune représente chez nous une alvéole qui contient en germe l’organisation rudimentaire de l’Etat autonome, disposant de ses forces économiques d’après le suffrage universel, s’administrant lui-même, ayant une police et des juges électifs. Cette alvéole ne reste pas isolée, mais forme un tissu par la réunion de plusieurs communes en un canton (Volost), qui se gouverne aussi par une administration élective. Au canton s’arrête le réseau des institutions populaires. Le canton se heurte contre la police, le fisc, l’administration impériale. Au-delà du canton, pas de libertés mais des privilèges, pas d’autonomie mais le plus grand arbitraire; la commune des serfs se brisait avant l’émancipation contre le droit absurde des seigneurs, le canton se brise maintenant encore contre le pouvoir exagéré du gouvernement.

L’une des barrières colossales qui arrêtaient tout progrès vient de tomber. L’émancipation des paysans, tout insuffisante qu’elle soit, a reconnu la liberté personnelle de l’homme attaché à la glèbe, sans nier son droit à la terre.

Il est temps d’ébranler les poteaux de l’autre barrière.

L’émancipation des paysans était la dernière carte du gouvernement; maintenant qu’il l’a jouée, il frise sérieusement la liberté. Les réformes dont il a tant parlé ne se font pas, parce qu’elles sont impossibles pour lui, parce qu’elles touchent à ses propres privilèges qui lui sont autrement chers que les privilèges de la noblesse. Le gouvernement veut les garder intacts tout en faisant des réformes: la contradiction est évidente, il ne s’en tirera pas, il se consume et se démène dans un cercle vicieux.

Attendre qu’il s’use jusqu’à son dernier fil est impossible. Il mine le pays, il médite une réaction complète et donne une nouvelle édition du règne de Nicolas en persécutant avec acharnement toute idée d’indépendance sous le voile d’un libéralisme raisonné. Il faut donc mettre des bornes à cet arbitraire, enrayer les roues de cette vieille machine, et pour cela s’entendre une fois pour toutes sur ce que nous voulons, sur ce que nous pouvons, sur ce que veut réellement le peuple. Pour arriver à cela, il n’y a qu’un moyen. Forcer le gouvernement à la convocation d’un parlement (Sobor), élu par tout le peuple, sans distinction de

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classes et de religions, laissant la faculté à chacun d’élire qui lui plaît.

Si le gouvernement consent, tant mieux, cela sera autant de sang épargné, autant de malheurs évités. Et s’il ne consent pas? Lui forcer la main, convoquer le parlement malgré lui.

Et après? Après on verra; le

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il entra une dizaine de fois par jour, durant une vingtaine d'années, dans le cabinet de l'empereur, pâlissait en entrant. C'était le type de ceux qu'il fallait au nouveau souverain.