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Полное собрание сочинений. Том 5. Письма из Франции и Италии 1847 — 1852

del Risorgimento se répandait par toute la péninsule… Je ne pensai qu’à m’arracher au plus vite de Nice pour aller à Rome.

C’était vers la fin de 1847… Maintenant je reviens à Nice, la tête baissée comme le pigeon voyageur de la fable, ne cherchant qu’un peu de repos. Maintenant je m’éloigne des grandes cités, je fuis leur activité incessante, qui ne produit rien de plus en Occident que le désœuvrement nonchalant en Orient.

Après avoir cherché longtemps où m’abriter, j’ai choisi Nice, non seulement pour son air si doux, pour sa mer si bleue, mais aussi parce qu’elle n’a aucune signification politique, scientifique… ou autre. Je répugnais moins à aller à Nice que partout ailleurs. C’était comme un couvent tranquille dans lequel je pensais me retirer du monde — tant que nous serions inutiles l’un à l’autre. Il m’a beaucoup tourmenté, je ne m’en fâche pas, je sais que ce n’est pas sa faute… mais je n’ai plus ni force, ni désir de partager ni ses jeux féroces, ni ses récréations banales.

Cela ne veut pas dire que je me sois fait moine à tout jamais, que je me suis lié par un vœu indissoluble. Le genre humain et moi

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nous avons quitté l’âge où de pareilles plaisanteries étaient en vogue. J’ai agi beaucoup plus simplement, je me suis écarté prévoyant un long hiver et ne voyant aucun moyen d’empêcher cette morte saison.

Et c’est un bien grand bonheur qu’il y ait encore un coin de la terre — si beau, si chaud — où l’on puisse rester tranquille…

…Quand je pense à l’existence que j’ai traînée à Paris les derniers mois, une agitation pleine d’anxiété s’empare de moi. Ces souvenirs me font la même impression que le souvenir d’une opération récente. Je sens de nouveau l’approche des bistouri et de la sonde.

Depuis matin au soir toutes les fibres de l’âme étaient brutalement froissées. Un coup d’œil sur les journaux, sur les débats de l’Assemblée, sur les rues, suffisait pour empoisonner chaque vingt-quatre heures.

Non. Le royalisme, ni le conservatisme n’ont abaissé ces hommes jusqu’à une telle corruption, au contraire, ce sont les hommes qui ont dépravé le royalisme et le conservatisme à ce point de cynisme éhonté.

Le royalisme est une espèce de religion sociale, il n’exclut ni noblesse, ni dignité. C’est un anachronisme — ce n’est pas un crime. Le conservatisme est une théorie, une manière de voir, c’est le présent considéré au point de vue du passé, il est stationnaire, mais non dénué de pudeur, d’honneur, de probité. Qu’y a-t-il de commun entre les Stafford, les Malesherbe, les tories et ces intrigants ignobles qui surnagent à la surface de la société française? Les députés, les littérateurs, les journalistes du parti de l’ordre se sont tellement confondus avec les instruments les plus vils du pouvoir qu’on n’est jamais sûr, avec qui on a à faire si c’est avec un homme ou avec un espion.

La majorité de l’Assemblée, les journaux réactionnaires sont des organes fidèles non du royalisme mais bien de cette génération de Français qui, née sous le despotisme soldatesque de l’Empire, épanouit la floraison sous le parapluie du roi-citoyen. Cette génération ne croit ni à la monarchie, ni à la révolution, ni au catholicisme, ni à la république… Elle veut jouir en toute sécurité pendant quelques années encore, elle veut exploiter la position le plus longtemps possible.

C’est la doctrine d’Esaù vendant ses droits pour un mauvais potage de lentilles.

Pour exploiter, pour jouir — il leur faut l’esclavage, et ils le désirent avec frénésie, pour que le maître garantisse leur avoir et leurs bénéfices. A ce prix ils ont tendu la main aux polices de tous les gouvernements hostiles à la France, ils ont donné leurs enfants aux jésuites qu’ils détestent.

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Jamais on n’a fait tant de sacrifices pour la liberté qu’on en fait maintenant pour l’esclavage!

Les journaux de l’ordre représentent les mouchards comme anges gardiens de la société. Les espions publient leurs mémoires, L’Assemblée Nationale invite l’empereur Nicolas, «cet Agamemnon, ce roi des rois» à mettre fin aux désordres de l’Europe… Le Constitutionnel, La Patrie — c’est quelque chose dans le genre de Justine politique, des élucubrations éhontées, dépravées dans le genre de De Sade et qui n’en diffèrent que par l’objet.

La civilisation n’oblige à rien les conservateurs français; de ce côté ils sont tout à fait libres, complètement émancipés. Sophistes couvrant d’une politesse banale et stéréotypée un fond de dépravation et de férocité sans bornes — ils ont très bien conservé la nature de tigre-singe dont parle Voltaire…

J’ai suivi avec horreur et curiosité… avec cette curiosité mêlée de dégoût que nous sentons lorsqu’on nourrit devant nos yeux un boa-constrictor avec des lapins vivants… les débats sur la déportation.

Je ne parle pas de l’absurdité de condamner à la prison perpétuelle pour des faits politiques accomplis quelques jours après une révolution, lorsque les esprits sont encore agités et les institutions n’ont pas encore acquis de stabilité. C’était un fait hideux, mais un fait accompli. Ce qui est colossal

pour moi, c’est qu’il se soit trouvé une réunion d’hommes au nombre de 700 qui ait consenti de retourner après deux années dans les cachots, dans lesquels elle jeta ses propres adversaires, avec l’intention de déculper leur punition!

Il faut savoir ce que c’est qu’une prison française en général. La différence avec Spielberg et la forteresse de Pétersbourg, avec Spandau et Rustadt n’est pas si grande qu’on le pense. C’était une de ces erreurs, par lesquelles les libéraux de l’époque de Louis-Philippe se consolaient eux-mêmes et trompaient le peuple353[353].

Mais si les prisons françaises valent bien le Castel S. Elme, la déportation à Nouka-Hiva est bien plus terrible que la Sibérie. Le climat de la Sibérie est très rigoureux, mais très salubre. Les déportés qui ne sont pas envoyés aux mines sont libres dans leur district. Les femmes et les enfants peuvent suivre leur mari, père.

Je n’ai pu comprendre les murmures des honorables législateurs lorsque Pierre Le Roux a dit que «Nouka-Hiva était une

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Sibérie ardente». C’était à Kisseleff, l’ambassadeur russe, à s’offenser qu’on assimilait la Sibérie à ces piombi de l’océan.

Mais Nouka-Hiva n’était pas encore suffisante pour les ministres et les représentants, ils proposèrent d’élever une prison sur cette île marécageuse, brûlée par le soleil tropical et couverte de mosquittes. Ils veulent avoir une bastille républicaine et équatoriale — pour y envoyer leurs ennemis, même ceux qui étaient déjà condamnés antérieurement.

Lorsqu’un dernier vestige de conscience de justice s’est réveillé chez Odillon Barrot contre cette absurdité juridique, lorsqu’un remord, peut-être, appela à la tribune un général pour proposer une enceinte fortifiée au lieu d’une prison, — c’est alors qu’il fallait voir les Iroquois de l’ordre! Des sons inhumains s’échappèrent pendant le scrutin des lèvres tremblantes de ces vieillards fauves, de ces avocats impitoyables! Ayant perdu les deux points, ils se cramponnèrent au troisième avec la furie d’une louve à laquelle on veut arracher ses petits, et ils le firent passer… «Les familles des condamnés n’ont pas le droit d’accompagner leurs chefs à la déportation — c’est une grâce que le ministre peut refuser. — «Les condamnés politiques, les ennemis de la société n’ont pas de famille», — a dit un des orateurs.

…Et une langue humaine a trouvé, au beau milieu du XIXe siècle, ce siècle de lumière et de civilisation — assez de force pour prononcer publiquement ces paroles! Comment a pu s’élever à cette hauteur de lâcheté le cynisme politique… Je ne le sais, c’est un mystère de l’éducation de ces gens…

Demandez-leur — ils vous répondront qu’ils sacrifient tout ce qui est humain pour défendre la société, la religion, la famille. Comment la défendre, contre qui?.. Une société qui tombe en pièces a son ennemi dans son cœur, dans son sang…

Elle doit être belle pourtant, la société défendue par Thiers.

La religion — défendue par Thiers!

La famille — défendue par Thiers!

Thierus, salvator societatis, redemptor — usurae et proprietatis defensor… ora pro nobis! Pauvre Jésus Christ! A quels temps de misère es-tu parvenu…

Je dis Thiers… car il est le plus parfait représentant de la majorité, de cette majorité audacieuse en apparence et humble en fait, majorité joviale qui en riant et faisant des phrases déporte des milliers, qui n’a qu’un Dieu — le capital — et son prophète — la rente… n’a d’autre Dieu à côté de lui.

Thiers — causeur inépuisable, léger, superficiel, mutin et aimant l’autorité; libéral et couvert du sang de Lyon; esprit fort qui a dicté les lois de septembre — oui, c’est le type de la majorité rentière! Même son extérieur de vieillard mignon avec de petites jambes dodues, avec un ventre agréable, avec son air

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de majordome, de Figaro à cheveux blancs — est un idéal — représente très bien la couche grasse qui se répand comme l’huile sur toute la société moderne!

Qu’on ordonne donc au plus vite de couler une statue de Thiers, en airain, une statue avec des lunettes, avec son costume d’été et son sourire de toutes les saisons. Sa place est toute trouvée; il remplacera la danseuse d’opéra sur la colonne de Juillet. A la Place de la Bastille — Thiers; à la Place Vendôme — son empereur. L’époque héroïque de la bourgeoisie allant conquérir le monde et l’époque de floraison de la bourgeoisie jouant le monde à la bourse!

— Tout cela est bien triste, bien déplorable, — me disaient mes braves amis atteints d’une espérance chronique et d’un optimisme incurable, — mais c’est passager; il ne faut pas se méprendre… Attendez un peu; nos ennemis veulent toucher de leurs mains «sacrilèges et liberticides» au suffrage universel. Le peuple se lèvera comme un seul homme pour défendre le plus sacré de ses droits…

Je secouais la tête sans rien dire. Deux mois se sont écoulés.

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del Risorgimento se répandait par toute la péninsule... Je ne pensai qu'à m'arracher au plus vite de Nice pour aller à Rome. C'était vers la fin de 1847... Maintenant je