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Полное собрание сочинений. Том 6. С того берега. Статьи. Долг прежде всего. 1847 — 1851

A peine, dans l’espace de dix années et plus, se produit-il à cet égard, deux ou trois procès.

Le Peuple russe est religieux parce qu’un Peuple, dans les circonstances politiques actuelles, ne peut pas être sans religion. Une conscience éclairée est une conséquence du progrès; la vérité et la pensée, jusqu’à présent, n’existent que pour le petit nombre. Au Peuple, la religion tient lieu de tout; elle répond à

toutes ses questions d’esthétique et de philosophie qui se rencontrent à tous les degrés dans l’âme humaine. La poésie fantastique de la religion sert de délassement aux travaux prosaïques de l’agriculture et de la coupe des foins. Le paysan russe est superstitieux, mais indifférent à l’égard de la religion, qui, d’ailleurs, est pour lui lettre close. Il observe exactement toutes les pratiques extérieures du culte, pour en avoir le cœur net; il va le dimanche à la messe, pour ne plus penser de six jours à l’église. Les prêtres, il les méprise comme des paresseux, comme des gens avides qui vivent à ses dépens. Dans toutes les obscénités populaires, dans toutes les chansons des rues, le héros, objet de ridicule et de mépris, est toujours le pope et le diacre ou leurs femmes.

Quantité de proverbes témoignent de l’indifférence des Russes en matière de religion: «Tant que le tonnerre ne gronde pas et que l’éclair ne frappe pas, le paysan ne se signe pas». «Fie-toi en Dieu, mais encore plus en toi». Custine raconte que le postillon qui défendait, en plaisantant, son penchant à de petits larcins, disait: «C’est une chose innée dans l’homme, et si le Christ n’a pas volé, c’est qu’il en était empêché par les blessures de ses mains». Tout cela montre que l’on ne rencontre chez ce Peuple ni le fanatisme farouche que nous trouvons en Belgique et à Lucerne, ni cette foi austère, froide et sans espérance, que l’on remarque à Genève et en Angleterre, comme en général chez les Peuples qui ont été longtemps sous l’influence des jésuites et des calvinistes.

Dans le sens propre du mot, les schismatiques seuls sont religieux. La raison n’en est pas seulement dans le caractère national, mais dans la religion elle-même. L’Eglise grecque n’a jamais été extraordinairement propagandiste et expansive; plus fidèle que le catholicisme à la doctrine évangélique, sa vie, par cela même, s’est répandue moins au dehors; mûrie sur le sol putréfié de Byzance, elle s’est concentrée dans l’intérieur des cellules monastiques, elle s’est occupée, surtout, de controverse théologique et de questions de théorie; subjuguée par le pouvoir temporel, elle s’est éloignée, en Russie, plus encore que dans l’empire byzantin, des intérêts de la politique. A partir du dixième siècle jusqu’à Pierre Ier on ne connaît qu’un seul prédicateur populaire, et, à celui-là, le patriarche lui imposa silence.

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Je regarde comme un grand bonheur pour le Peuple russe, Peuple aisément impressionnable et doux de caractère, qu’il n’ait pas été corrompu par le catholicisme. Il a ainsi échappé en même temps à un autre fléau. Le catholicisme, comme certaines affections malignes, ne peut se traiter que par des poisons; il traîne fatalement après lui le protestantisme qui n’affranchit d’un côté les esprits que pour les mieux enchaîner de l’autre. Enfin la Russie, n’appartenant pas à la grande unité de l’Eglise d’Occident, n’a pas besoin non plus de se mêler à l’histoire de l’Europe.

Je n’ai pas trouvé davantage dans le Peuple russe qu’il fût bien affectionné au trône et prêt à se dévouer pour lui. Il est vrai que le paysan russe voit dans l’empereur un protecteur contre ses ennemis immédiats; qu’il le considère comme la plus haute expression de la justice, et qu’il croit à son droit divin, comme y croient plus ou moins tous les Peuples monarchiques de l’Europe. Mais cette vénération ne se manifeste par aucun acte, et son attachement à l’empereur n’en ferait ni un vendéen, ni un carliste espagnol; cette vénération ne va pas jusqu’à ce touchant amour qui naguère encore ne permettait pas à certain Peuple de parler de princes sans verser des larmes.

Il faut aussi avouer que le Peuple russe s’est refroidi dans son amour pour le trône, depuis que, grâce à la bureaucratie européenne, il s’est détourné du gouvernement. Un mouvement dynastique, comme celui qui éclata, par exemple, en faveur du faux Démétrius, est aujourd’hui tout à fait impossible. Depuis Pierre Ier, le Peuple n’a pris aucune part à toutes les révolutions de Pétersbourg. Quelques prétendants, une poignée d’intrigants et de gardes prétoriennes ont, de 1725 à 1762, fait passer de main en main le trône impérial. Le Peuple s’est tu impassible et sans s’inquiéter que la princesse de Brunswick ou de Courlande, le duc de Holstein ou sa femme, de la famille d’Anhalt-Zerbst, fussent reconnus par la camarilla comme empereurs et Romanoff: ils lui étaient tous inconnus, et de plus ils étaient Allemands.

L’insurrection de Pougatcheff eut un tout autre sens: ce fut la dernière tentative, l’effort suprême du Cosaque et du serf pour s’affranchir du cruel joug qui s’appesantissait visiblement sur eux chaque jour davantage. Le nom de Pierre III ne fut rien

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qu’un prétexte; ce nom seul n’eût pas eu la vertu de soulever quelques provinces. Pour la dernière fois, en 1812, un intérêt politique anima le Peuple russe. Ce Peuple est

persuadé qu’il est impossible de le vaincre chez lui; cette pensée est au fond de la conscience de tout paysan russe, c’est là sa religion politique. Lorsqu’il vit l’étranger apparaître en ennemi sur son territoire, il laissa reposer sa charrue et saisit le fusil. En mourant sur le champ de bataille «pour le blanc tzar et la sainte mère de Dieu», comme il disait, il mourait en réalité pour l’inviolabilité du sol russe.

La classe avec laquelle le Peuple russe se trouve en rapport immédiat, est la noblesse provinciale et le corps des employés, qui forment le dernier degré de la Russie civilisée. Les employés, profondément corrompus par l’interdiction de toute publicité, représentent la classe la plus servile en Russie; son sort est complètement à la merci du gouvernement. La noblesse provinciale, de son côté, non moins corrompue par son droit d’exploitation sur les paysans, est cependant plus indépendante, et, par suite, un peu moins machine que le corps des employés. Il y a encore un peu de vie dans les assemblées provinciales, la noblesse fait ordinairement opposition aux gouverneurs et à leurs officiers: les moyens ne lui manquent pas pour cela.

Catherine II continua le système de Pierre Ier, elle accrut et fortifia encore les droits de la noblesse; en même temps elle précipita des millions de paysans dans le servage, et paya avec des communes de paysans ses nuits de Cléopâtre. La noblesse de chaque province a le droit de tenir ses assemblées particulières, d’élire ses maréchaux et, ce qui est encore plus important, les juges dans les deux premières instances, les présidents de ces tribunaux et tous les officiers d’administration et de police des districts.

Il est vrai que les autres classes du Peuple ont part à ces droits, mais la majorité reste à la noblesse, à l’exception des autorités municipales et des bourguemestres qui sont élus par les marchands et les bourgeois de la ville. Le gouvernement envoie dans chaque .province un gouverneur, un conseil d’administration et de finances, dans chaque ville un officier de police, et pour chaque tribunal un procureur. La noblesse a le droit de contrôler le gouverneur dans toutes les affaires d’argent; tout gentilhomme peut, dans sa province et sans aucune restriction, être élu juge, président et maréchal. C’est à cela que se réduisent toutes les institutions libres.

Si nous passons de la constitution provinciale à la constitution de l’Etat, à chaque pas, à mesure que nous remonterons l’échelle hiérarchique, s’effaceront davantage les droits de l’homme et la part des gouvernés au gouvernement. La centralisation de Pétersbourg, comme la cime neigeuse d’une montagne, écrase tout de son poids glacial et uniforme; plus on s’en approche, moins on découvre de traces de vie et d’indépendance. Le sénat, le conseil d’Etat, les ministres, ne sont rien que des instruments passifs; les plus hauts dignitaires ne sont rien que des scribes, des sbires, en un mot, des bras télégraphiques, au moyen desquels le Palais d’hiver de Pétersbourg annonce au pays sa volonté.

La noblesse russe, dans la forme qu’elle conserve depuis Pierre Ier, représente plutôt une prime pour des services rendus, qu’une caste existant par elle-même; on perd même la noblesse, d’après la loi, quand, dans une famille, deux générations successives ne sont pas entrées au service de l’Etat. Les chemins qui conduisent à la noblesse sont ouverts de tous côtés. Il y a cinq ans qu’on a élevé, à cet égard, quelques difficultés; mais elles appartiennent au nombre de ces mesures qui disparaissent sans conséquence le jour qui suit l’investiture impériale.

Pierre Ier, avec toute sa puissance, n’aurait pu rien exécuter s’il n’avait pas rencontré déjà une foule de mécontents. Ces mécontents lui vinrent en aide; c’est d’eux et de tout ce qui servait le nouveau gouvernement, que s’est formée la Russie européenne. Pierre Ier anoblit cette partie de la nation pour l’opposer à la Russie agreste. Mais outre que cette classe n’a produit aucune aristocratie ayant force et vigueur, elle a encore absorbé en elle l’aristocratie, autrefois puissante, de l’ancienne noblesse, des boyards et des princes83[83]. La nouvelle noblesse, se recrutant sans cesse dans toutes les classes, n’acquit un caractère aristocratique qu’à l’égard du paysan, aussi longtemps qu’il restait paysan, c’est-à-dire à l’égard de cette portion du Peuple qui se trouvait aussi placée par le gouvernement en dehors de la loi.

Probablement, dans les premiers temps qui suivirent la réforme, tous ces lourds et grossiers boyards, avec leur perruque poudrée et leurs bas de

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