мальчишкам мобили раздавали кресты — и Франция не поняла непристойности этой награды.
Но, скажут, в опьянении борьбы, крови, опасности человек сходит с ума… — хоть это и не извиняет ничего, тем не менее и этой защиты нет. Больше месяца прошло после победы, пора уходиться, — нет, то же преследование, холодное, злое, беспощадное. Процесс, в котором сорок тысяч виноватых, десять тысяч колодников, — процесс инквизиторский, секретный, беззаконный.
В первые дни янычары Национальной гвардии тащили расстреливать Луи Блана за мечту об организации работ, а Ла-гранжа за баррикады 24 февраля! При крике «Vive la République!» Точно то же делает теперь следственная комиссия — она во имя республики хочет уничтожить Барбеса, даже Временное правительство.
Какая шекспировская ирония у истории… Бесстыдные жрецы, кующие в цепи людей, оскорбивших, как они говорят, великую революцию, республику — эти люди, купленные претендентами. Какой разврат, какое паденье в этом двоедушии! Они шаг за шагом уничтожают во имя республики все, провозглашенное республикой, все, составляющее жизнь и возможность этой общественной формы.
Февральская республика вооружила народ — реакция обезоружила его. Ружье в руках у блузника — преступление в глазах буржуази. Свободные граждане французские не могут собираться на улице — буржуази издала закон об attroupements133[133], они не могут собираться и в комнате, она закрыла клубы; нет свободы книгопечатания, нет личной свободы — радикальные
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писатели бежали — Торе, Кабе скрылись — Ж. Санд хотели тащить в тюрьму. Одиннадцать журналов запретили. — Рабство, ярмо неслыханное после Наполеона. Оппозиция молчит. Complicité du silence! 134[134] Народ ходит унылый, удивленный, испуганный — будто это не тот народ, который жил до июньских дней. — Буржуази домашним советом обезоруживает тех людей, принадлежащих Национальной гвардии, которые известны радикализмом. — Прибавлю одно. Несколько граждан, которые принесли свои ружья в легионы, говоря, что они их отдают, ибо не имеют силы стрелять в французов, — были брошены в тюрьму; убийство сделалось святой обязанностью. Кто не отмочил себе руки в плебейской крови, становился подозрителен для мещанина.
Один мужественный плач, одно великое негодование, одно мрачное проклятие и раздалось этим каннибалам из уст Ламенне. — Старика будут судить.
Им не уйти от его проклятия. — Да, не уйти и тем слабым, жалким, которые хотели скорлупу республики без ее зерна, которые осмелились на всех перекрестках солгать, солгать страшными словами:
Liberté, Egalité, Fraternité135[135].
Это огненные слова Даниила, это смертный приговор — без апелляции, без помилования.
Казнь будет — кровь, кровь, кровь польется страшная. Ну, что же выйдет из этой крови?— Смерть, распадение старому миру… Это будет торжество притесненных, праздник мести… анархия — оргия крови… ну, а дальше — я не знаю. Идея социалистов не созрела столько же, сколько идея мещан сгнила. У них больше предчувствия, нежели знания; больше пониманья современного зла, нежели будущего блага… на таких носящихся (schwebende) идеях не удаются революции, но истребление удается — будет такая Жакри, такая Варфоломеевская ночь, перед которой ужасы июньских дней покажутся отеческим исправлением, детской игрой, и в этом море крови, огня, бешенства, гнева, мести — погибнет гниющий, разрушающийся мир, — и это прекрасно — Vive la mort…
Да здравствует хаос, экстерминация!..
— Vive la mort!..
И да наступит будущее.
Париж, 27 июля 1848
DONOSO CORTÈS, MARQUIS DE VALDEGAMAS, ET JULIEN,
EMPEREUR ROMAIN
Ils ont des yeux, les conservateurs, et ils ne voient pas; plus sceptiques encore que ne le fut Saint Thomas, ils touchent la plaie et ne croient pas à sa profondeur.
«Voilà, — disent-ils, — les progrès de la gangrène sociale; voilà l’esprit de négation qui souffle la destruction, voilà le démon de la révolution qui ébranle les derniers soutiens du vénérable édifice politique; c’est clair, notre monde court à sa perte, entraînant avec lui la civilisation, les institutions; il a déjà un pied dans la tombe…» Et ils ajoutent: «Doublez la force des gouvernements, ramenez les hommes aux croyances qu’ils n’ont plus, appuyez l’autorité sur les armées permanentes, il y va du salut d’un monde entier!»
Sauver un monde par des réminiscences, par des mesures coercitives? — Quelle démence! Ou le sauve par une bonne nouvelle, et non par une religion réchauffée, on le sauve par un verbe qui porte en germe un nouveau monde, et non par la restauration d’un ordre de choses vieillies. — Chrétiens, vous le savez! .
Est-ce obstination de la part des conservateurs, ou manque d’intelligence; est-ce la peur d’un avenir sombre qui trouble leur entendement, parce qu’ils ne voient que ce qui succombe, parce qu’ils ne s’attachent qu’au passé et ne s’appuient que sur des ruines, prêtes à s’écrouler? C’est aussi le résultat de la confusion complète des idées, à laquelle nous sommes parvenus à force de révolutions incomplètes et de restaurations aveugles, à force d’inconséquences, de replâtrages, cette confusion nous rend extrêmement difficile à saisir toute notion claire, simple, naturelle.
Cette confusion préexiste pour nous comme un héritage; nous la trouvons établie dans notre âme au nom de l’autorité. Le réveil des facultés intellectuelles, la fonction logique est paralysée, déviée de sa route. Le rapport naturel de l’homme à
l’extérieur est troublé. L’éducation rend les hommes fous avant qu’ils aient eu le temps d’avoir de l’esprit.
Au moins, dans le passé il y avait plus d’unité; une folie épidémique n’était presque pas remarquée; tout le monde était dans l’erreur, mais tout le monde était d’accord sur les généralités. A présent, figurez-vous ce chaos qui obscurcit la pensée de la génération contemporaine. Préjugés du monde romain; préjugés du moyen-âge; préjugés de l’Evangile; préjugés des encyclopédistes; le catholicisme et l’économie politique, Voltaire et Loyola, l’idéalisme dans les théories et le matérialisme dans la vie, une moralité abstraite, rhétorique dans la bouche et une conduite qui n’a rien de commun avec elle.
Cette masse hétérogène s’établit dans notre esprit sans contrôle, sans coordination quelconque, ni analyse. Une fois arrivés à l’âge mûr, nous sommes trop occupés, trop paresseux et trop lâches pour citer un à un tous ces dogmes devant le tribunal de la critique et c’est ainsi que nous ne parvenons presque jamais à la clarté lucide du réalisme.
Cette confusion n’existe nulle part à un tel degré qu’en France. Les Français, ne vous en scandalisez pas, privés en général d’une éducation philosophique, comprennent avec une grande sagacité les résultats, mais ils les saisissent d’une manière abstraite, et ces résultats restent isolés, manquant d’ensemble, de méthode. De là vient nécessairement le vague de toutes les idées, des contradictions à chaque pas.
On est forcé, en France, de répéter les vérités les plus élémentaires, de revenir sur des principes qui n’étaient pas nouveaux du temps d’un Bacon ou d’un Spinoza. Il n’y a rien d’acquis chez vous, comme par exemple en Allemagne, sous le point de vue scientifique, en Angleterre sous le point de vue du droit. De là cette légèreté de changement dont nous sommes les continuels témoins. Une génération de révolutionnaires devient absolutiste. Après trois révolutions on en est encore à la question de la censure, de la prison préventive, de la transportation sans jugement, parce qu’il n’y a rien de gagné définitivement. Cette confusion s’est produite dans la science même par l’éclectisme de M. Cousin, qui lui a donné une organisation systématique.
Cette confusion règne dans tous les camps, chez les démocrates comme chez les absolutistes, à plus forte raison chez les modérés qui ne savent ce qu’ils veulent, ni ce qu’ils ne veulent pas136[136].
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Permettez-moi de vous citer un exemple récent de ce vague dans les idées de nos adversaires; je me propose, pour une autre fois, de prendre mon exemple au sein de la famille.
Les journaux royalistes et ultramontains ont cité avec enthousiasme un discours de M. Donoso Cortès. C’est un discours très remarquable sous beaucoup de rapports. L’orateur a profondément apprécié la terrible position de l’Europe actuelle, qui est à la veille d’un cataclysme inévitable, fatal. Le tableau qu’il en fait est palpitant de vérité. Il représente l’Europe désorganisée, impuissante, entraînée à sa perte, mourant de faiblesse, et le monde slave se ruant sur le monde germano-romain, pour se promener l’arme au bras par toute l’Europe.
Il dit: «Ne croyez pas que les catastrophes finissent là; les races slaves ne sont pas aux peuples de l’Occident ce que les races allemandes étaient au peuple romain. Non, les races slaves sont, depuis longtemps, en contact avec la civilisation… La Russie, placée au milieu de l’Europe conquise et prosternée à ses pieds, absorbera par tous les pores le poison qu’elle a bu et qui la tue. La Russie ne tardera pas à tomber en putréfaction. J’ignore le remède universel que Dieu tiendra prêt pour cette universelle pourriture».
Eh bien! En attendant cette panacée divine, savez-vous ce que propose cet homme qui a tracé ces paroles de Daniel?
Nous sommes honteux de le dire, il pense sauver le monde en faisant l’Angleterre catholique et en laissant le soin du salut continental aux armées permanentes et à l’autorité monarchique. Il veut détourner le terrible avenir en allant vers un passé qui n’existe presque plus.
Nous ne croyons pas à la pathologie du marquis de Valdegamas. Ou le danger n’est pas si grand, ou le remède est trop faible. — L’autorité royale est bien restaurée, ses armées permanentes ont le dessus, l’église triomphe, M. Thiers lui-même est devenu très catholique, la réaction ne laisse rien à désirer, — et pourtant le salut ne vient pas. — Est-ce parce que l’Angleterre persiste dans le schisme?
On accuse tous les jours les socialistes de n’être fort que dans la critique, dans la constatation du mal, dans la négation. Et vous-mêmes, messieurs les antisocialistes?
Pour comble de confusion, la rédaction d’un journal blanc poudre de perle a inséré dans la même feuille, où elle se répand en compliments pour M. Donoso Cortès, les fragments d’une compilation historique (assez médiocre). On y raconte sur les premiers siècles de la chrétienté des faits qui réfutent complètement le point de vue de M. Cortès.
M. Cortès se place exactement sur le terrain des conservateurs romains, tels que Pline, Trajan, Dioclétien, Julien etc. Il voit
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comme eux le voyaient, par