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Собрание сочинений в тридцати томах. Том 6. С того берега. Долг прежде всего

de la stagnation et de l’apathie générales, il voulut renouveler le sang aux veines de la Russie, et, pour opérer cette transfusion, il prit un sang, déjà vieux et corrompu. Et puis, avec tout le tempérament d’un révolutionnaire, Pierre I fut toujours néanmoins un monarque. Il aimait passionnément la Hollande et reconstruisait sa chère Amsterdam sur les bords de la Néva, mais il empruntait fort peu de choses aux libres institutions des Pays-Bas. Non seulement il ne restreignit pas la puissance des tzars, mais il l’agrandit encore en lui livrant tous les moyens de l’absolutisme européen et en renversant toutes les barrières qu’avaient élevées jusqu’alors les mœurs et les coutumes.

En même temps qu’il se rangeait sous les bannières de la civilisation, Pierre I empruntait néanmoins à un passé, qu’il répudiait, le knout et la Sibérie, pour réprimer toute opposition, toute parole courageuse, tout acte de liberté.

Représentez-vous maintenant l’union du tzarisme moscovite avec le régime des chancelleries allemandes, avec la procédure inquisitoriale empruntée au code militaire prussien, et vous comprendrez comment l’autorité impériale en Russie a laissé loin derrière elle le despotisme de Rome et de Byzance.

L’agreste Russie se pliant à tout en apparence, n’a réellement rien accepté de cette réforme. Pierre I sentait cette résistance passive; il n’aimait pas le paysan russe et n’entendait rien non plus à sa manière de vivre. Il a fortifié, avec une légèreté coupable, les droits de la noblesse et resserré encore la chaîne du servage; il a tenté le premier d’organiser ces absurdes institutions; or, les organiser, c’était en même temps les reconnaître et leur donner une base légale. Dès lors, le paysan russe se renferma plus étroitement que jamais au sein de sa commune, et ne s’en écarta qu’en jetant autour de lui des regards défiants et en faisant force signes de croix. Il cessa de comprendre le gouvernement; il vit dans l’officier de police et le juge un ennemi; il vit dans le seigneur terrien une puissance brutale contre laquelle il ne pouvait rien faire.

Il commença dès lors à ne voir dans tout condamné qu’un malheureux: seul mot qui désigne tout condamné dans ce pays, où il semble ne plus y avoir que des victimes et des bourreaux; à mentir sous le serment et à nier tout, quand il était interrogé par un homme qui se présentait en uniforme et qui lui semblait lé représentant du gouvernement allemand. Cent cinquante ans, loin de les réconcilier avec le nouvel ordre des choses, l’en ont encore éloigné davantage. Que nous autres, nous ayons été élevés dans la réforme de Pierre; que nous ayons sucé le lait de la civilisation européenne; que la vieillesse de l’Europe nous ait été inoculée, de telle sorte que ses destins soient devenus les nôtres, à la bonne heure! mais il en est tout autrement du paysan russe.

Il a beaucoup supporté, beaucoup souffert, il souffre beaucoup à cette heure, mais il est resté lui-même. Quoique isolé dans sa petite commune, sans liaison avec les siens, tous dispersés sur cette immense étendue du pays, il a trouvé dans une résistance passive, et dans la force de son caractère, les moyens de se conserver; il a courbé profondément la tête, et le malheur a passé souvent sans le toucher, au-dessus de lui; voilà pourquoi, malgré sa position, le paysan russe possède tant de force, tant d’agilité, tant d’intelligence et de beauté, qu’à cet égard il a excité l’étonnement de Custine et d’Haxthausen.

Tous les voyageurs rendent justice aux paysans russes, mais ils font grand bruit de leur impudente friponnerie, de leur fanatisme religieux, de leur idolâtrie, pour le trône impérial.

Je crois, qu’on peut trouver quelque chose de ces défauts dans le Peuple russe, et je me fonde en particulier sur ce que ces défauts sont communs à toutes les nations européennes. Ils tiennent étroitement à notre civilisation, à l’ignorance des masses et à leur pauvreté. Les Etats européens ressemblent au marbre poli, ils ne brillent qu’à la surface, mais, au fond et dans leur ensemble, ils sont grossiers.

Je comprends qu’on puisse accuser la civilisation, les formes sociales actuelles, tous les Peuples ensemble, mais je trouve qu’il y a inhumanité sans profit à s’attaquer à un Peuple en particulier, et à condamner en lui les vices de tous les autres; c’est d’ailleurs une étroitesse d’esprit, qui n’est permise qu’aux Juifs, de tenir sa nation pour un Peuple choisi. A cet égard les derniers événements politiques ont dû être pour nous une grande leҫon; presque tous les écrivains n’ont-ils pas, naguère, accusé de ces mêmes défauts, les Romains et les Viennois, en y ajoutant même le reproche de lâcheté?

La révolution d’octobre et le triumvirat romain ont réhabilité la réputation de ces villes. Mais ce n’est pas tout. Il est très vrai que le paysan russe, toutes les fois qu’il le peut, trompe le gentilhomme et l’officier public, qui ne s’abstiennent de le tromper à leur tour que parce qu’ils trouvent beaucoup plus simple de le dépouiller. Tromper ses ennemis, en pareil cas, c’est faire preuve d’intelligence. Au contraire, les paysans russes, dans leurs rapports entre eux, se montrent pleins d’honneur et de loyauté. La preuve, c’est que jamais ils ne dressent entre eux de contrat par écrit. La terre est partagée dans les communes, et l’argent dans les associations de travailleurs. A peine, dans l’espace de dix années et plus, se produit-il à cet égard, deux ou trois procès.

Le Peuple russe est religieux parce qu’un Peuple, dans les circonstances politiques actuelles, ne peut pas être sans religion. Une conscience éclairée est une conséquence du progrès; la vérité et la pensée, jusqu’à présent, n’existent que pour le petit nombre. Au Peuple, la religion tient lieu de tout; elle répond à toutes ses questions d’esthétique et de philosophie qui se rencontrent à tous les degrés dans l’âme humaine. La poésie fantastique de la religion sert de délassement aux travaux prosaïques de l’agriculture et de la coupe des foins. Le paysan russe est superstitieux, mais indifférent à l’égard de la religion, qui, d’ailleurs, est pour lui lettre close. Il observe exactement toutes les pratiques extérieures du culte, pour en avoir le cœur net; il va le dimanche à la messe, pour ne plus penser de six jours à l’église. Les prêtres, il les méprise comme des paresseux, comme des gens avides qui vivent à ses dépens. Dans toutes les obscénités populaires, dans toutes les chansons des rues, le héros, objet de ridicule et de mépris, est toujours le pope et le diacre ou leurs femmes.

Quantité de proverbes témoignent de l’indifférence des Russes en matière de religion: «Tant que le tonnerre ne gronde pas et que l’éclair ne frappe pas, le paysan ne se signe pas». «Fie-toi en Dieu, mais encore plus en toi». Custine raconte que le postillon qui défendait, en plaisantant, son penchant à de petits larcins, disait: «C’est une chose innée dans l’homme, et si le Christ n’a pas volé, c’est qu’il en était empêché par les blessures de ses mains». Tout cela montre que l’on ne rencontre chez ce Peuple ni le fanatisme farouche que nous trouvons en Belgique et à Lucerne, ni cette foi austère, froide et sans espérance, que l’on remarque à Genève et en Angleterre, comme en général chez les Peuples qui ont été longtemps sous l’influence des jésuites et des calvinistes.

Dans le sens propre du mot, les schismatiques seuls sont religieux. La raison n’en est pas seulement dans le caractère national, mais dans la religion elle-même. L’Eglise grecque n’a jamais été extraordinairement propagandiste et expansive; plus fidèle que le catholicisme à la doctrine évangélique, sa vie, par cela même, s’est répandue moins au dehors; mûrie sur le sol putréfié de Byzance, elle s’est concentrée dans l’intérieur des cellules monastiques, elle s’est occupée, surtout, de controverse théologique et de questions de théorie; subjuguée par le pouvoir temporel, elle s’est éloignée, en Russie, plus encore que dans l’empire byzantin, des intérêts de la politique. A partir du dixième siècle jusqu’à Pierre I on ne connaît qu’un seul prédicateur populaire, et, à celui-là, le patriarche lui imposa silence.

Je regarde comme un grand bonheur pour le Peuple russe, Peuple aisément impressionnable et doux de caractère, qu’il n’ait pas été corrompu par le catholicisme. Il a ainsi échappé en même temps à un autre fléau. Le catholicisme, comme certaines affections malignes, ne peut se traiter que par des poisons; il traîne fatalement après lui le protestantisme qui n’affranchit d’un côté les esprits que pour les mieux enchaîner de l’autre. Enfin la Russie, n’appartenant pas à la grande unité de l’Eglise d’Occident, n’a pas besoin non plus de se mêler à l’histoire de l’Europe.

Je n’ai pas trouvé davantage dans le Peuple russe qu’il fût bien affectionné au trône et prêt à se dévouer pour lui. Il est vrai que le paysan russe voit dans l’empereur un protecteur contre ses ennemis immédiats; qu’il le considère comme la plus haute expression de la justice, et qu’il croit à son droit divin, comme y croient plus ou moins tous les Peuples monarchiques de l’Europe. Mais cette vénération ne se manifeste par aucun acte, et son attachement à l’empereur n’en ferait ni un vendéen, ni un carliste espagnol; cette vénération ne va pas jusqu’à ce touchant amour qui naguère encore ne permettait pas à certain Peuple de parler de princes sans verser des larmes.

Il faut aussi avouer que le Peuple russe s’est refroidi dans son amour pour le trône, depuis que, grâce à la bureaucratie européenne, il s’est détourné du gouvernement. Un mouvement dynastique, comme celui qui éclata, par exemple, en faveur du faux Démétrius, est aujourd’hui tout à fait impossible. Depuis Pierre I, le Peuple n’a pris aucune part à toutes les révolutions de Pétersbourg.

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