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Полное собрание сочинений в 90 томах. Том 64. Письма, 1887-1889

principes chrétiens, philosophiques ou humanitaires, est de tâcher de sortir autant que possible de cette contradiction.

Le moyen le plus simple et qui est toujours sous main y parvenir est le travail manuel qui commence par les soins de sa propre personne. Je ne croirai jamais à la sincérité des convictions chrétiennes, philosophiques ou humanitaires d’une personne qui fait vider son pot de chambre par une servante.

La formule morale la plus simple et courte c’est de se faire servir par les autres aussi peu que possible, et de servir les autres autant que possible. D’exiger des autres le moins possible et de leur donner le plus possible.

Cette formule, qui donne à notre existence un sens raisonnable, et le bonheur qui s’en suit, résout en même temps toutes lés difficultés, de même que celle qui se pose devant vous: la part qui doit être faite à l’activité intellectuelle — la science, l’art?

Suivant ce principe, je ne suis heureux et content que quand, en agissant, j’ai la ferme conviction d’être utile aux autres. (Le contentement de ceux pour lesquels j’agis est un extra, un surcroît de bonheur sur lequel je ne compte pas, et qui ne peut influer sur le choix de mes actions.) Ma ferme conviction que ce que je fais n’est ni une chose inutile, ni un mal, mais un bien pour les autres, est à cause de cela la condition principale de mon bonheur.

Et c’est cela qui pousse involontairement un homme moral et sincère à préférer aux travaux scientitiques et artistiques le travail manuel: l’ouvrage que j’écris, pour lequel j’ai besoin du travail des imprimeurs; la symphonie que je compose, pour laquelle j’ai besoin des musiciens; les expériences que je fais, pour lesquels j’ai besoin du travail de ceux qui font les instruments de nos laboratoires; le tableau que je peins pour lequel j’ai besoin de ceux qui font les couleurs et la toile; — tous ces travaux peuvent être des choses très utiles aux autres, mais [ils] peuvent être aussi (comme ils le sont pour la plupart) des choses complètement inutiles et même nuisibles. Et voilà que pendant que je fais toutes ces choses dont l’utilité est fort douteuse, et pour produire lesquelles je dois encore faire travailler les autres, j’ai devant et autour de moi des choses à faire sans fin, et qui toutes sont indubitablement utiles aux autres, et pour produire lesquelles je n’ai besoin de personne: un fardeau à porter, pour celui qui est fatigué; un champ à labourer pour son propriétaire qui est malade; une blessure à panser; mais sans parler de ces milliers de choses à faire qui nous entourent, qui n’ont besoin de l’aide de personne, qui produisent un contentement immédiat dans ceux pour le bien desquels vous les faites: — planter un arbre, élever un veau, nettoyer un puits — sont des actions indubitablement utiles aux autres, et qui ne peuvent ne pas être préférées par un homme sincère aux occupations douteuses qui, dans notre monde, sont prêchées comme la vocation la plus haute et la plus noble de l’homme.

La vocation d’un prophète est une vocation haute et noble. Mais nous savons ce que sont les prêtres qui se croient prophètes, uniquement parce que c’est leur avantage, et qu’ils ont la possibilité de se faire passer pour tels.

Un prophète n’est pas celui qui reçoit l’éducation d’un prophète, mais celui qui a la conviction intime de ce qu’il est et doit, et ne peut ne pas être. Cette conviction est rare, et ne peut être, éprouvée que par les sacrifices qu’un homme fait à sa vocation.

De même pour la vraie science et l’art véritable. Un Lulli1 qui, à ses risques et périls, quitte le service de la cuisine pour jouer du violon, par les sacrifices qu’il fait, fait preuve de sa vocation. Mais l’élève d’un conservatoire, un étudiant, dont le seul devoir est d’étudier ce qu’on leur enseigne, ne sont même pas en état de faire preuve de leur vocation: ils profitent simplement d’une position qui leur paraît avantageuse.

Le travail manuel est un devoir et un bonheur pour tous; l’activité intellectuelle est une activité exceptionnelle, qui ne devient un devoir et un bonheur que pour ceux qui ont cette vocation. La vocation ne peut être connue et prouvée que par le sacrifice que fait le savant ou l’artiste de son repos et de son bien-être pour suivre sa vocation. Un homme qui continue à remplir son devoir, celui de soutenir sa vie par le travail de ses mains, et, malgré cela, prend sur les heures de son repos et de son sommeil pour penser et produire dans la sphère intellectuelle, fait preuve de sa vocation. Celui qui se libère du devoir moral de chaque homme, et, sous le prétexte de son goût pour les sciences et les arts, s’arrange une vie de parasite, ne produira jamais que de la fausse science et du faux art.

Les produits de la vraie science et du vrai art sont les produits du sacrifice, mais pas de certains avantages matériels.

Mais que deviennent les sciences et les arts? Que de fois j’ai entendu cette question, faite par des gens qui ne se souciaient ni des sciences, ni des arts, et n’avaient même pas une idée un peu claire de ce que c’était que les sciences et les arts! On dirait que ces gens n’ont rien tant à coeur que le bien de l’humanité qui, d’après leur croyance, ne peut être produit que par le développement de ce qu’ils appellent des sciences et des arts.

Mais comment se trouve-t-il qu’il y ait des gens assez fous pour contester l’utilité des sciences et des arts? Il y a des ouvriers manuels, des ouvriers agriculteurs. Personne ne s’est jamais avisé de contester leur utilité; et jamais ouvrier ne se mettra en tête de prouver l’utilité de son travail. Il produit; son produit est nécessaire et un bien pour les autres. On en profite et personne ne doute de son utilité. Et encore moins, personne ne la prouve.

Les ouvriers des arts et des sciences sont dans les mêmes conditions. Comment se trouve-t-il qu’il y ait des gens qui s’efforcent de tout leur pouvoir de prouver leur utilité?

La raison est que les véritables ouvriers des sciences et des arts ne s’arrogent aucuns droits; ils donnent les produits de leur travail; ces produits sont utiles, et ils n’ont aucun besoin de droits et de preuves à leurs droits. Mais la grande majorité de ceux qui se disent savants et artistes savent fort bien que ce qu’ils produisent ne vaut pas ce qu’ils consomment, et ce n’est qu’à cause de cela qu’ils se donnent tant de peines, comme les prêtres de tous les temps, de prouver que leur activité est indispensable au bien de l’humanité.

La science véritable et l’art véritable ont toujours existé et existeront toujours comme tous les autres modes de l’activité humaine, et il est impossible et inutile de les contester ou de les prouver.

Le faux rôle que jouent dans notre société les sciences et les arts provient de ce que les gens soi-disant civilisés, ayant à leur tête les savants et les artistes, sont une caste privilégiée comme les prêtres. Et cette caste a tous les défauts de toutes les castes. Elle a le défaut de dégrader et de rabaisser le principe en vertu duquel elle s’organise. Au lieu d’une vraie religion — une fausse. Au lieu d’une vraie science — une fausse. De même pour l’art. Elle a le défaut de peser sur les masses, et, pardessus cela, de les priver de ce qu’on prétend propager. Et le plus grand défaut, celui de la contradiction constante du principe qu’ils professent avec leur manière d’agir.

En exceptant ceux qui soutiennent le principe inepte de la science pour la science et de l’art pour l’art, les partisans de la civilisation sont obligés d’affirmer que la science et l’art sont un grand bien pour l’humanité.

En quoi consiste ce bien? Quels sont les signes par lesquels on puisse distinguer le bien du mal? Les partisans de la science et de l’art ont gardé de répondre à ces questions. Ils prétendent même que la définition du bien et du beau est impossible. «Le bien en général, disent-ils, le bien, le beau, ne peut être défini».

Mais ils mentent. De tout temps, l’humanité n’a pas fait autre chose dans son progrès que de définir le bien et le beau. Le bien est défini depuis des sciècles. Mais cette définition ne leur convient pas; elle démasque la futilité, si ce n’est les effets nuisibles, contraires au bien et au beau, de ce qu’ils appellent leurs sciences et leurs arts. Le bien et le beau est défini depuis des siècles. Les Brahmanes, les sages des Bouddhistes, les sages des Chinois, des Hébreux, des Egyptiens, les stoïciens grecs l’ont défini, et l’evangile l’a défini de la manière la plus précise. Tout ce qui réunit les hommes est le bien et le beau, — tout ce qui les sépare est le mal et le laid. Tout le monde connaît cette formule. Elle est écrite dans notre coeur.

Le bien et le beau pour l’humanité est ce qui unit les hommes. Eh bien, si les partisans des sciences et des arts avaient en effet pour motif le bien de l’humanité, ils n’auraient pas ignoré le bien de l’homme, et, ne l’ignorant pas, ils n’auraient cultivé que les sciences et les arts qui mènent à ce but. Il n’y aurait pas de sciences juridiques, de science militaire, de science d’économie politique, ni de finances, qui n’ont d’autre but que le bien-être de certaines nations au détriment des autres. Si le bien avait été, en effet, le critérium de

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principes chrétiens, philosophiques ou humanitaires, est de tâcher de sortir autant que possible de cette contradiction. Le moyen le plus simple et qui est toujours sous main y parvenir est