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Полное собрание сочинений в 90 томах. Том 64. Письма, 1887-1889

la science et des arts, jamais les recherches des sciences positives, complètement futiles par rapport au véritable bien de l’humanité, n’auraient acquis l’importance qu’elles ont, ni surtout les produits de nos arts, bons pour tout au plus à désennuyer les oisifs.

La sagesse humaine ne consiste point dans le savoir des choses. Et il y a une infinité de choses qu’on peut savoir. Et connaître le plus de choses possible ne constitue pas la sagesse. La sagesse humaine consiste à connaître l’ordre des choses qu’il est bon de savoir consiste à savoir ranger ses connaissances d’après leur importance.

Or, de toutes les sciences que l’homme peut et doit savoir, la principale, c’est la science de vivre de manière à faire le moins de mal et le plus de bien possible, et de tous les arts, celui de savoir éviter le mal et produire le bien avec le moins d’efforts possible. Et voilà qu’il se trouve que parmi tous les arts et les sciences qui prétendent servir au bien de l’humanité — la première des sciences et le premier des arts par leur importance non seulement n’existent pas, mais sont exclus de la liste des sciences et des arts.

Ce qu’on appelle dans notre monde les sciences et les arts ne sont qu’un immense «humbug», une grande superstition dans laquelle nous tombons ordinairement dès que nous nous affranchissons de la vieille superstition de l’eglise. Pourvoir clair la route que nous devons suivre, il faut commencer par le commencement, — il faut relever le capuchon qui me tient chaud, mais qui me couvre la vue. La tentation est grande. Nous naissons, — ou bien par le travail, ou plutôt par une certaine adresse intellectuelle, nous nous hissons sur les marches de l’échelle, et nous nous trouvons parmi les privilégiés, les prêtres de la civilisation, de la «Kultur», comme disent les allemands, et il faut comme pour un prêtre brahmane ou catholique, beaucoup de sincérité et un grand amour du vrai et du bien pour mettre en doute les principes qui vous donnent cette position avantageuse. Mais pour un homme sérieux qui, comme vous, se pose la question de la vie, — il n’y a pas de choix. Pour commencer à voir clair, il faut qu’il s’affranchisse de la superstition dans laquelle il se trouve, quoiqu’elle lui soit avantageuse. C’est une condition «sine qua non». Il est inutile de discuter avec un homme qui tient à une certaine croyance, ne fut-ce que sur un seul point.

Si le champ du raisonnement n’est pas complètement libre, il aura beau discuter, il aura beau raisonner, il n’approchera pas d’un pas de la vérité. Son point fixe arrêtera tous les raisonnements et les faussera tous. Il y a la foi religieuse, il y a la foi de notre civilisation. Elles sont tout à fait analogues. Un catholique se dit: «je puis raisonner, mais pas au delà de ce que m’enseigne notre Ecriture et notre tradition, qui possèdent la vérité entière, immuable»; un croyant de la civilisation dit: «mon raisonnement s’arrête devant les données de la civilisation: — la science et l’art. Notre science, c’est la totalité du vrai savoir de l’homme. Si elle ne possède pas encore toute la vérité, elle la possédera. Notre art avec ses traditions classiques est le seul art véritable». Les catholiques disent: «il existe hors de l’homme une chose en soi, comme disent les allemands: c’est l’eglise». Les gens de notre monde disent: «il existe hors de l’homme une chose en soi: la civilisation». Il nous est facile de voir les fautes de raisonnement des superstitions religieuses, parce que nous ne les partageons pas. Mais un croyant religieux, un catholique même, est pleinement convaincu qu’il n’y a qu’une seule vraie religion, la sienne; et il lui paraît même que la vérité de sa religion se prouve par le raisonnement. De même pour nous, — les croyants de la civilisation: nous sommes pleinement convaincus qu’il n’existe qu’une seule vraie civilisation, — la nôtre, et il nous est presque impossible de voir le manque de logique de tous nos raisonnements, qui ne tendent qu’à prouver que de tous les âges et de tous les peuples, il n’y a que notre âge et les quelques millions d’hommes, habitant la péninsule qu’on appelle l’Europe, qui se trouvent en possession de la vraie civilisation, qui se compose de vraies sciences et de vrais arts.

Pour connaître la vérité de la vie qui est tellement simple, il ne faut pas quelque chose de positif: — une philosophie, une science profonde; — il ne faut qu’une qualité négative: — ne pas avoir de superstition.

Il faut se mettre dans l’état d’un enfant ou d’un Descartes, se dire: — Je ne sais rien, je ne crois rien, et ne veux pas autre chose que de connaître la vérité de la vie, que je suis obligé de vivre.

Et la réponse est toute donnée depuis des siècles, et est simple et claire.

Mon sentiment intérieur me dit qu’il me faut le bien, le bonheur pour moi, pour moi seul. La raison me dit: tous les hommes, tous les êtres désirent la même chose. Tous les êtres qui sont comme moi à la recherche de leur bonheur individuel vont m’écraser: — c’est clair. Je ne peux pas posséder le bonheur que je désire; mais la recherche du bonheur — c’est ma vie. Ne pouvant posséder le bonheur, ne pas y tendre, — c’est ne pas vivre.

Je ne peux donc pas vivre?

Le raisonnement me dit que dans l’ordre du monde où tous les êtres ne désirent que leur bien à eux, moi, un être désirant la même chose, ne peux avoir de bien. Je ne peux vivre. Mais malgré ce raisonnement si clair, nous vivons et nous cherchons le bonheur, le bien. Nous nous disons: je n’aurais pu avoir le bien, être heureux, que dans le cas où tous les autres êtres m’aimeraient plus qu’ils ne s’aiment eux-mêmes. C’est une chose impossible; mais malgré cela, nous vivons tous; et toute notre activité, notre recherche de la fortune, de la gloire, du pouvoir, ne sont que des tentatives de se faire aimer par les autres plus qu’ils ne s’aiment eux-mêmes. La fortune, la gloire, le pouvoir nous donnent des semblants de cet état de choses; et nous sommes presque contents, nous oublions par moments que ce n’est qu’un semblant, mais non la réalité. Tous les êtres s’aiment eux-mêmes plus qu’ils ne nous aiment et le bonheur est impossible. Il y a des gens (et leur nombre augmente de jour en jour) qui, ne pouvant résoudre cette difficulté, se brûlent la cervelle en se disant que la vie n’est qu’une tromperie.

Et cependant, la solution du problème est plus que simple, et s’impose de soi-même. Je ne peux être heureux que s’il existe dans ce monde un ordre tel que tous les êtres aiment les autres plus qu’ils ne s’aiment eux-mêmes.

Le monde entier serait heureux si les êtres ne s’aimaient pas eux-mêmes, mais aimaient les autres.

Je suis un être humain, et la raison me donne la loi du bonheur de tous les êtres. Il faut que je suive la loi de ma raison, — que j’aime les autres plus que je m’aime moi-même.

L’homme n’a qu’à faire ce raisonnement pour que la vie se présente à lui tout d’un coup sous un tout autre aspect qu’elle ne se présentait auparavant. Les êtres se détruisent; mais les êtres s’aiment et s’entr’aident. La vie n’est pas soutenue par la désiruction, mais par la réciprocité des êtres qui se traduit dans mon coeur par le sentiment de l’amour. Depuis que j’ai pu entrevoir la marche du monde, je vois que ce n’est que le principe de la réciprocité qui produit le progrès de l’humanité. Toute l’histoire n’est autre chose que la conception de plus en plus claire et l’application de cet unique principe de la solidarité de tous les êtres. Le raisonnement se trouve corroboré par l’expérience de l’histoire et [par] l’expérience personnelle.

Mais outre le raisonnement l’homme trouve la preuve la plus convaincante de la vérité de ce raisonnement dans son sentiment intime. Le plus grand bonheur que l’homme connaisse, l’état le plus libre, le plus heureux, est celui de l’abnégation et de l’amour. La raison découvre à l’homme la seule voie du bonheur possible, et le sentiment l’y pousse.

Si les idées que je tâche de vous communiquer ne vous paraissent pas claires, ne les jugez pas trop sévèrement. J’espère que vous les lirez un jour exposées d’une manière plus claire et précise.

J’ai voulu vous donner seulement une idée de ma manièrede voir.

Léon Tolstoy.

Дорогой брат!

Я получил ваше первое письмо. Оно тронуло мое сердце. Я читал его со слезами на глазах. Я намеревался отвечать на него, но не имел времени, тем более, что — не говоря уже о трудности для меня писать по-французски — мне пришлось бы отвечать очень подробно на ваши вопросы, большая часть которых основана на недоразумении.

Вы спрашиваете: почему ручной труд является одним из существенных условий истинного счастья? Нужно ли добровольно лишать себя умственной деятельности, занятий науками и искусствами, которые кажутся вам несовместимыми с ручным трудом?

Я отвечал на эти вопросы, как умел, в книге, озаглавленной: «Так что же нам делать?» — которая, как я слышал, была переведена на французский язык. Я никогда не считал ручной труд самостоятельным принципом, а всегда считал его самым простым и естественным приложением нравственного принципа, — таким приложением, которое прежде всего представляется уму всякого искреннего человека.

Ручной труд в нашем развращенном обществе (в обществе так называемых образованных людей) является обязательным для нас единственно потому, что главный недостаток этого общества состоял и до сих состоит в освобождении себя от этого труда и в пользовании, без всякой взаимности, трудом бедных, невежественных, несчастных классов, являющихся рабами,

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la science et des arts, jamais les recherches des sciences positives, complètement futiles par rapport au véritable bien de l’humanité, n’auraient acquis l’importance qu’elles ont, ni surtout les produits de