beau, — dispose de lui,
Ami sans amis!
12
Vous, ses amis, — ne le deґrangez pas!
Vous, serviteurs, — ne le deґrangez pas!
On le voyait sur son visage:
Mon royaume n’est pas de ce monde.
Fatales, les neiges en rafales au long de ses veines
Et les eґpaules se courbaient sous le poids des ailes,
Et par la bouche et par le chant, dans l’ardeur qui
desse`che,
Il a laisseґ son a me s’envoler comme un cygne.
Tombez, tombez donc, lourds ornements!
Les ailes connaissaient leur pouvoir: voler!
Et les le`vres, qui reґpeґtaient ce mot: reґponds!
Mourir n’existe pas, je le sais!
Il boit l’aurore, il boit la mer, — a` sa soif,
Il festoie. — Et pas d’offices pour les morts!
Car celui qui pour toujours a dit: il faut e tre!
Aura du pain assez pour le nourrir.
13
Au-dessus de la plaine —
Le chant du cygne.
Me`re, n’as-tu pas reconnu ton fils?
Lui — de tre`s loin — au-dela` des nuages,
Lui, — et son dernier pardon.
Au-dessus de la plaine,
La neige fatale, en tourbillons.
Jeune fille, n’as-tu pas reconnu ton ami?
Chasuble deґchireґe, ailes en sang…
Lui, et son dernier mot: — Vis!
Au-dessus de cette maudite…
L’envol aureґoleґ. Le juste
S’empare d’une a me: hosanna!
Le forc at trouve — une couchette — la chaleur.
Et le fils adoptif la maison d’une me`re. — Amen.
14
Pas une co te casseґe —
Une aile briseґe.
Pas la poitrine traverseґe
Des fusilleґs. Cette balle
Ne peut s’extraire. Les ailes sont
Irreґparables. Il vivait mutileґ.
Tenace, elle est tenace la couronne d’eґpines!
Qu’importe au deґfunt — l’eґmotion de la masse,
Et le duvet de cygne des flatteries feґminines…
Lui, il passait, solitaire, sourd,
Il figeait les couchers de soleil,
Absent, comme une statue sans regard.
Une seule chose vivait encore en lui:
Une aile briseґe.
15
Sans cri, sans appel: un couvreur
Qui tombe d’un toit. — Mais,
Peut-e tre es-tu revenu, —
Peut-e tre, coucheґ dans un berceau?
Tu bru les et ne te consumes pas,
Flambeau, pour peu de temps…
Laquelle parmi les mortelles
Te berce, en ton berceau?
Fardeau bien-heureux!
Roseau propheґtique!
Qui donc me dira
Dans quel berceau?
«Pas vendu, pour l’instant!»
Je ferai seulement, avec, en moi,
Cette jalousie, un vaste monde
Sur la terre de Russie.
Je traverserai d’un bout
A l’autre les terres de minuit.
Ou` est sa bouche — sa blessure — ,
Ou` sont le plomb, le bleu de ses yeux?
Le saisir! Toujours plus fort!
L’aimer, n’aimer que lui!
Qui me dira tout bas
En quel berceau tu es?
Des perles, une a` une, et l’ombre,
Mousseline endormie. Ombre
D’une couronne aiguiseґe,
D’eґpines, pas de laurier.
Pas un rideau, un oiseau
Qui deґplie ses ailes blanches!
— Et natre a` nouveau
Pour qu’a` nouveau la neige te couvre?
L’attirer plus fort! Le tenir
Plus haut! Ne garder que lui!
Qui me soufflera
En quel berceau tu es?
Mon exploit est peut-e tre faux,
Et mes efforts — vains.
Tu vas peut-e tre dormir,
Comme en terre, jusqu’au dernier chant.
Je vois a` nouveau — le creux
Profond de tes tempes.
Aucune musique ne pourra
Effacer une telle fatigue.
La souveraine pature,
Le silence sur, rouilleґ.
Le gardien me montrera
Le berceau.
16
Comme endormi, comme ivre,
Au deґpourvu, sans preґparation,
Creux des tempes:
Conscience aux aguets.
Orbites transparentes:
Mort et clarteґ.
Vitre transparente
Du re veur, du voyant.
N’est-ce pas toi
Qui n’as pas supporteґ
Le son de sa robe bruyante
De retour au pays de chez Hade`s
N’est-ce pas cette te te
Qui flottait, pleine de cliquetis
Argentins, le long
De l’He`bre endormi?
17
Rec ois, mon Dieu, rec ois mon obole
Pour la soliditeґ du temple. Je ne chante
Pas l’arbitraire de mon amour, je chante
La blessure de ma patrie…
Non le coffre rouilleґ de l’avare —
Ni le granit — useґ par les genoux!
Mais, pour tous: le heґros et le tzar,
Pour tous — un juste — un chantre — la mort.
Le Dniepr brise la glace et la Russie
Coule vers toi, comme Pa ques. —
Et bouscule les planches du cercueil
Dans une grande crue de mille voix.
Pleure ainsi mon cur, et chante la gloire!
Et que l’amour mortel soit jaloux
De tes cris — pour quelle autre millie`me fois? —
Car cet amour-la` se reґjouit de ton chant.
J’aime embrasser
Les mains, et j’aime
Donner des noms,
Et aussi — ouvrir
Des portes!
— Grandes-ouvertes — sur la nuit noire!
Et me tenir la te te,
Ecouter ce pas, lourd,
Quelque part, qui devient leґger,
Et le vent, qui secoue
La somnolante, l’insomniaque
Fore t.
Et la nuit!
Quelque part, des sources coulent,
Le sommeil me gagne.
Je dors presque.
Quelque part, un homme,
Dans la nuit, s’enfonce.
Dans ma tre`s grande ville — la nuit.
Je quitte — la maison endormie.
Les gens pensent: une femme, une fille, —
Mon seul souvenir: — la nuit — .
Le vent de juillet me pousse — en chemin,
Et la` une musique par la fene tre — un rien.
Le vent, aujourd’hui, jusqu’a` l’aube — soufflera
Au travers de la poitrine — dans la poitrine.
Un peuple noir, et, par la fene tre — une lumie`re,
Et le carillon de la tour, et dans la main — une fleur,
Et ce pas-la` n’embote le pas de personne,
Et cette ombre-la` — n’est pas la mienne.
Les feux de la feuille nocturne dans la bouche,
Comme les chanes des colliers en or — le gou t!
Deґlivrez-moi des liens diurnes, amis,
Comprenez, je ne suis pour vous qu’un re ve.
Noire comme la pupille, comme la pupille tu suces
La lumie`re — et je t’aime, nuit — qui vois si bien.
Laisse ma voix te chanter, aїeule des chants,
Qui tiens la bride des quatre vents. Je t’appelle,
Je chante tes louanges et ne suis qu’un coquillage
Que la voix de l’oceґan n’a pas encore deґserteґ.
J’ai deґja` trop regardeґ dans la pupille des hommes!
Nuit! Reґduis-moi en cendres, soleil noir, — nuit!
Qui dort, la nuit? Personne ne dort!
L’enfant, dans son berceau, crie,
Le vieillard veille a` sa propre mort,
Et le jeune garc on parle a` sa jolie;
Il souffle sur ses le`vres,
Il la regarde dans les yeux.
Si tu t’endormais, ou` serais-tu, a` ton reґveil?
Nous aurons, nous aurons bien le temps de dormir!
Le garde au regard vigilant passe
De maison en maison, avec sa lanterne rose.
Et, sur l’oreiller, ce qui, par morceaux, gronde,
Agite sa bruyante creґcelle: — ne dors pas —
Tiens bon! J’insiste! Sinon — l’eґternel
Sommeil! — Sinon — la maison eґternelle.
Voici — de nouveau — une fene tre,
Ou` — de nouveau — on ne dort pas.
On y boit du vin — peut-e tre —,
On n’y fait rien — peut-e tre —.
Ou alors, tout simplement,
Deux mains ne peuvent se seґparer.
Il y a, dans chaque maison,
Ami, une fene tre pareille.
Le cri des seґparations, des rencontres —
Toi, fene tre dans la nuit!
Des centaines de bougies — peut-e tre —,
Trois bougies — peut-e tre… —
Pas cela, et pas de repos
Pour mon esprit.
Et cela — cette chose me me —
Dans ma maison.
Prie, mon ami, pour la maison sans sommeil,
Pour la fene tre eґclaireґe!
Poemes pour Akhmatova
1
O muse des pleurs, la plus belle des muses!
Toi, acolyte perdue de la nuit blanche!
Tu jettes sur les Russes ta sombre tempe te,
Et tes hauts cris nous percent, comme des fle`ches.
Nous bondissons de co teґ, et sourdement: ah! —
Des milliers de fois — nous te jurons fideґliteґ. — Anna
Akhmatova! — Ce nom me me — vaste soupir,
Tombe dans des profondeurs qui n’ont pas de nom.
Nous portons une couronne, a` seulement fouler
La me me terre que toi, sous le me me ciel — que toi!
Et celui que blesse ton destin mortel
S’eґtend immortel deґja` sur son lit de mort.
Sur ma ville qui chante, les coupoles brillent,
Et l’aveugle qui passe ceґle`bre les louanges du seigneur…
— Moi, — je t’offre ma ville avec ses cloches,
Akhmatova! — et aussi mon cur, en plus.
3
Encore un immense battement —
Et les cils dorment.
Corps gentil! Poussie`re
D’un oiseau leґger!
Que faisais-tu dans le brouillard
Des jours? J’attendais, je chantais…
Et tant de soupirs en elle,
Et si peu de chair…
Gentille — inhumainement,
Sa somnolence.
Avec quelque chose
De l’ange et de l’aigle.
Elle dort, et le chur l’appelle
Vers les jardins de l’Eden.
Comme si le deґmon endormi
N’eґtait pas satureґ de chansons.
Les heures, les anneґes, les sie`cles. —
Sans nous — sans nos chambres.
Et le monument, qui se penche, —
Ne se souvient plus.
Depuis longtemps, le balai reste inactif,
Et se fleґtrissent, obseґquieusement,
Au-dessus de la Muse de Tsarskoeґ Selo,
Les croix d’orties.
5
Tant de compagnons, tant d’amis —
Et tu n’es l’eґcho de personne.
L’amertume et la fierteґ
Commandent cette tendre jeunesse.
Tu te souviens de cette journeґe folle
Et enrageґe: le port, la menace des vents du sud,
Les hurlements de la Caspienne — et,
Dans la bouche, l’aile d’une rose.
Et cette tzigane qui t’a donneґ
Cette pierre, si bien sertie, — et
Cette tzigane qui t’a menti
A propos de la gloire…
Et, — tre`s haut, pre`s des voiles —
L’adolescent en caban bleu.
Le grondement de la mer — et l’appel,
— Redoutable de la Muse blesseґe.
6
Tu ne traneras pas. Moi, — je suis le prisonnier.
Toi, — le gardien. Nous avons le me me destin.
Nous avons la me me feuille de route
Pour ce territoire vide, vide.
Moi, — je suis d’une humeur tranquille!
Mes yeux sont transparents!
Gardien, laisse-moi aller
Jusqu’a` ce pin.
8
Sur le marcheґ, les gens criaient,
La fumeґe sortait de la boulangerie
J’ai le souvenir de la bouche vermeille
D’une chanteuse de rue au visage allongeґ.
Dans un cha le sombre — avec des fleurs —,
— Pour e tre honoreґe — et
Toi, les yeux baisseґs, dans la foule
Des croyants, devant la catheґdrale.
Prie pour moi, beauteґ
Triste et diabolique,
On eґle`vera pour toi des eґchafaudages,
Comme pour la vierge du village.
9
Vers Anne, a` la bouche d’or,
De toute la Russie, son verbe, et
Son expiation, — toi, vent, porte
Ma voix, et ce lourd soupir.
Parle, horizon en feu, parle
De ces yeux, noirs de douleur,
Et, doucement, salue, jusqu’a` terre,
Parmi les champs doreґs.
Raconte, eau verte des ruisseaux,
Dans les bois, raconte cette nuit-la`
Ou` j’ai vu en toi, et quel visage
J’ai vu, de mes propres yeux.
Toi, retrouveґ,
Dans la hauteur, avec le tonnerre,
Toi, l’anonyme,
Porte mon amour
A Anne, bouche d’or de toutes les Russies.
11
Tu me caches le soleil, — la`-haut,
Toutes les eґtoiles dans le creux de ta main!
Et si, — portes grandes-ouvertes —
Comme le vent — j’entrais chez toi!
Et puis balbutier et rougir,
Baisser les yeux tout a` fait,
Et sangloter pour m’apaiser,
Comme un enfant pardonneґ.
12
Les deux bras me sont donneґs — pour les tendre a` tous, —
Mais ils me fuient.