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Собрание сочинений в тридцати томах. Том 7. О развитии революционных идей в России

la Russie du peuple, de la Russie occulte.

Et même en ne considérant la Russie qu’à son point de vue gouvernemental, ne croyez-vous pas qu’il fût utile de faire plus ample connaissance avec ce voisin incommode qui sait placer dans chaque coin de l’Europe ici un espion, là une baïonnette? Le gouvernement russe touche à la Méditerranée par sa protection de la Porte-Ottomane, au Rhin par sa protection des cousins et beaux-frères d’Allemagne, et à l’Atlantique par sa protection de l’ordre en France.

Il faudrait, dis-je, apprécier à sa juste valeur ce protecteur universel, et voir, si cet étrange empire n’eut, en effet, d’autre raison d’existence que cette vocation hideuse que s’est donnée le gouvernement de St.-Pétersbourg, d’être une borne jetée au travers de la route royale de l’humanité.

L’Europe touche à un cataclysme terrible. Le monde du moyen âge finit; le monde féodal se meurt. Les révolutions politiques et religieuses s’affaissent sous le poids de leur impuissance; elles ont accompli de grandes choses, mais elles n’ont pas suffi à leur tâche; elles ont dépouillé le trône et l’autel de leur prestige, sans réaliser la liberté; elles ont allumé dans les cœurs des désirs sans offrir aucun moyen de les satisfaire. Parlementarisme, protestantisme, tout cela n’a été qu’ajournement, salut provisoire, endiguement, qui arrêta pour quelques moments la mort et la naissance. Ce temps est révolu. Depuis 1848, l’on s’aperçoit que ni les réminiscences du droit romain, ni une piètre légalité, ni une maigre philosophie déiste, ni un rationalisme religieux stérile, ne peuvent ajourner l’accomplissement des destinées sociales.

L’orage approche, on ne peut plus s’y méprendre; révolutionnaires et réacteurs en conviennent. Le vertige s’empare de tout le monde; une question lourde, une question de vie et de mort, opprime la Poitrine. On est inquiet, agité; on se demande si l’Europe, vieux Prothée, cet organisme usé, pourra trouver encore assez de force pour opérer sa régénération. On redoute la réponse, on frémit d’incertitude.

La question est grave en effet.

Oui, la vieille Europe, pourra-t-elle changer son sang atrophié et s’élancer à perte de vue dans cet avenir sans bornes qui nous entraîne d’une force irrésistible, passionnée, fatale, vers lequel nous nous précipiterons envers et contre tout, dussions-nous passer sur les ruines de nos maisons paternelles, disperser les trésors des civilisations écoulées et les richesses de la dernière culture?

Des deux côtés la position est également appréciée. L’Europe rentre dans la nuit morne et épaisse qui doit précéder l’aube de cette lutte décisive. Ce n’est plus une existence, c’est une attente, une anxiété. Tout est renversé. Plus de légalité, plus de justice, plus de simulacre de liberté; une inquisition laïque et irréligieuse règne en absolue; les lois sont remplacées par le code soldatesque d’une place assiégée. Une seule force morale préside, dicte et ordonne; c’est la peur; elle suffit. Toutes les questions sont repoussées au second plan devant le grand intérêt réactionnaire. Les gouvernements en apparence les plus opposés de principes se fondent fraternellement dans une seule police œcuménique. L’empereur de Russie, sans cacher sa haine contre les Français, récompense le préfet de la police de Paris; le roi de Naples, de sa main de geôlier, décore le président de la République. Le roi de Berlin, affublé d’un uniforme russe, court à Varsovie’se jeter dans les bras de sonennemi l’empereur d’Autriche sous la bénédiction tutélaire de Nicolas, ce tzar schismatique qui, à son tour, offre ses troupes au Pontife de Rome. Au milieu de ce sabbat, de cette nuit walkyrienne de la réaction, toute sécurité individuelle a disparu; aucune des garanties qui existent même dans les sociétés les moins avancées, en Chine, en Perse, n’est plus respectée dans les capitales du monde ex-civilisé.

On ne se retrouve plus. Est-ce bien là l’Europe que nous avons connue et aimée?

En vérité, s’il n’y avait pas d’Angleterre, libre et fière, si ce diamant enchâssé dans l’argent de la mer, comme dit Shakespeare, cessait de briller; si la Suisse pa’r crainte du César persistait comme l’apôtre Pierre à renier son principe; si le Piémont, ce seul bras libre et fort de l’Italie, si ce refuge, dis-je, de la civilisation chassée du Nord et se repliant derrière les Alpes sans oser nasser les Apennins, venait soudain à se fermer aux sentiments humains; si, en un mot, ces trois pays allaient être infectés du souffle délétère de Paris et de Vienne, l’on pourrait croire que]a dissolution du vieux monde eût déjà été perpétrée par les mains parricides des conservateurs, et que la barbarie eût déjà commencé en France et en Allemagne.

Au milieu de ce chaos, de cette agonie en démence, de cet enfantement douloureux; au milieu de ce monde qui s’écroule putréfié autour d’un berceau, les regards se dirigent involontairement vers l’Orient.

Pareil à une montagne sombre qui se dégage du brouillard, on y distingue un empire menaçant, hostile; on dirait même qu’il s’avance comme une avalanche ou comme un héritier impatient, prêt à accélérer la lenteur des derniers moments du moribond.

Cet empire, inconnu il y a deux siècles, s’est tout à coup présenté grossièrement, et sans invitation, sans droit, il est venu s’asseoir, le verbe haut, au concile des souverains de l’Europe, en réclamant sa part du butin à la conquête duquel il n’avait nullement contribué.

Personne n’osa lui contester ses prétentions de s’immiscer dans les affaires de l’Europe.

Charles XII tenta l’essai, mais son glaive jusque-là invincible se brisa à la tâche; Frédéric II voulut s’opposer aux empiétements de la cour de Pétersbourg; Kœnigsberg et Berlin tombèrent au pouvoir de l’ennemi du Nord. Le tzar Napoléon pénétra a la tête d’un demi-million d’hommes jusqu’au cœur du géant. H en sortit furtivement, seul, dans un misérable traîneau de poste. L’Europe vit avec stupéfaction la fuite de Napoléon, les nuées de Cosaques volant à sa poursuite, les armées russes s’acheminant vers Paris et jetant sur leur chemin, à l’Allemagne, l’aumône de son indépendance nationale. Vampire monstrueux, il ne semble exister que pour guetter les fautes des peuples et des rois. Hier nous l’avons vu presque écraser l’Autriche en l’aidant contre a Hongrie, demain nous le verrons proclamer la Marche de Brandebourg province de l’empire russe, pour donner appui au roi de Berlin.

Et dire que, à la veille du grand combat, l’on sait si peu sur ce nouveau lutteur, arrogant, armé de pied en cap, et prêt à passer la frontière au premier appel de ses amis de la réaction! A peine connaît-on son armure, les couleurs de son drapeau, et l’on se tient à sa parole officielle, à des notions vagues, sans remarquer ce qu’il y a de contradictoire dans tous les récits qui circulent à son sujet.

Les uns ne parlent que de l’omnipotence du tzar, de l’insolence gouvernementale, de la servilité des sujets; les autres disent que l’impérialisme de Pétersbourg n’est point national, que le peuple, courbé sous le double joug du souverain et de la noblesse, souffre l’oppression mais ne l’accepte pas, qu’il n’est pas annihilé mais seulement malheureux. Et pourtant cette même population sert de ciment à ce tout colossal qui l’opprime. D’autres viennent ajouter que le peuple russe est une vile multitude d’ivrognes et d’ilotes, et tels autres encore constatent en Russie une race intelligente et bien douée.

Il y a pour moi quelque chose de tragique dans cette distraction senile, avec laquelle le vieux monde confond toutes les notions concernant son antagoniste.

Dans cet amas d’opinions contradictoires percent tant de connaissances immobiles, une si triste légèreté, des préjugés tellement tenaces, que, malgré nous, notre regard ne trouve d’autre point de comparaison dans l’histoire que celui de la décadence romaine.

Alors aussi, à la veille de la révolution chrétienne, à la veille de la victoire des barbares, l’on proclamait l’éternité de Rome, la folie impuissante de la secte nazaréenne, et la chimère des dangers qu’annonçait le mouvement du monde barbare.

C’est à vous, Monsieur, que revient à juste titre le mérite d’avoir parlé le premier en France de la Russie populaire; vous aviez déjà appliqué la main sur le cœur, sur la source même de la vie; la vérité allait jaillir sous la pression de votre puissant génie, quand, soudain par un mouvement de colère vous avez retiré cette main fraternelle, et la source aussitôt vous a apparu troublée et confuse.

J’ai lu, avec une profonde douleur, vos paroles irritées. Triste, le cœur gros, je cherchais en vain, je l’avoue, l’historien, le philosophe, et plus que tout cela, l’homme aimant que nous onnaissons tous. J’ai hâte de le dire; j’ai parfaitement apprécié la cause de votre indignation: la sympathie pour la malheureuse Pologne a parlé par vous. Nous aussi, nous la connaissons, Monsieur, la sympathie pour nos frères polonais, et chez nous ce n’est pas de la compassion, c’est du remords, c’est de la honte. Aimer la Pologne! Nous l’aimons tous, mais est-ce bien la conséquence inévitable de ce sentiment que de lui victimer un peuple également malheureux, un peuple qui a dû prêter ses mains gar-rotées à un gouvernement féroce pour commettre des crimes? Soyons généreux, et n’oublions pas que nous venons de voir un peuple qui, armé du suffrage universel et de baïonnettes citoyennes, n’en a pas moins consenti au rétablissement de l’ordre de Varsovie à Rome; ne voyons-nous pas aujourd’hui… mais regardez plutôt ce qui se passe sous vos yeux… et pourtant nous ne disons pas que les Français ont cessé d’être hommes; nous attendons.

Il est temps d’oublier cette lutte malheureuse entre des frères; parmi nous, il n’y a pas de vainqueur; la Pologne ainsi que la Russie succombent à un ennemi commun. Le martyr, l’offensé lui-même, se détourne d’un passé également douloureux pour nous tous. L’ami illustre que vous citez, le grand poète Mickiewicz, en est une preuve.

Ne dites pas, Monsieur, en parlant des opinions du barde

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