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Собрание сочинений в тридцати томах. Том 7. О развитии революционных идей в России

couver sous la cendre! La bise âpre, sauvage, qui souffle de l’Europe, serait de force à l’anéantir. La Russie se trouve serrée entre deux Sibéries; l’une blanche de neige, l’autre blanche d’opinion.

L’heure de notre action n’a pas sonné; la France se prévaut encore à juste titre de l’honneur du premier pas; elle aura même toutes les difficultés du choix, et cela jusqu’en 1852. L’Europe nous précédera sans faute dans la tombe ou dans la vie nouvelle, non seulement en vertu de son droit d’aînesse, mais à cause du rapport général de la révolution sociale au monde slave, ainsi que j’ai tâché de le démontrer. Le jour de notre action peut être éloigné; le jour de la conscience, de la pensée, de la parole s’est déjà levé. Nous avons assez vécu dans le silence et dans le sommeil; il est temps de raconter nos rêves et les fruits de nos méditations.

Et en effet, à qui la faute, s’il a fallu attendre jusqu’en 1847 Pour «qu’un Allemand (Haxthausen) eût découvert, comme vous le dites, la Russie populaire, que l’on ne connaissait pas plus que l’Amérique avant Colomb».

La faute en est à nous, je l’avoue, Monsieur, à nous, pauvres muets, à notre pusillanimité, à notre parole paralysée par la crainte, à notre imagination frappée par la terreur. Nous craignons même de confesser hors de nos frontières l’horreur que nous inspirent nos chaînes. Forçats nés et condamnés à traîner le boulet jusqu’à la tombe, nous nous offensons chaque fois que l’on parle de nous comme d’esclaves volontaires, comme de nègres gelés, et cependant nous nous gardons de protester publiquement.

Il faudrait se décider enfin à subir ces accusations, ou bien à leur mettre un terme, et à faire retentir la libre parole russe. Mieux vaut périr suspectés d’être hommes que de porter sur son front la marque éternelle du servage, et de plier sous le dur reproche d’être esclaves par goût.

Malheureusement, en Russie, la parole libre étonne; elle fait peur. J’ai essayé seulement de soulever un coin du voile épais qui nous dérobe aux regards de l’Europe; je n’ai parlé que de tendances théoriques, d’espérances lointaines, d’éléments organiques pour l’avenir; et pourtant ma brochure, sur le compte de laquelle vous avez bien voulu vous exprimer en termes si flatteurs, a produit en Russie une douloureuse impression. Des voix amies, que je respecte, l’ont condamnée. On l’a taxée d’aveu de culpabilité. Aveu!.. Et de quel crime? Du crime de notre malheur, de nos souffrances, de notre désir de briser cette-odieuse position… Pauvres et chers amis! Qu’ils me pardonnent ce forfait; je le répète encore.

Ah, Monsieur, il est lourd, il est atroce, le joug d’un long esclavage, sans lutte et sans espoir à court terme! Il finit par user les âmes les plus généreuses, les plus nobles, les plus dévouées. Où est le héros qui ne tomberait à la longue de lassitude, de désespoir, préférant à tous ces rêves un peu de repos avant sa mort?

Non, je ne me tairai pas. Ma parole vengera ces existences infortunées, brisées sous la pression de l’absolutisme russe, de ce régime infernal qui frappe l’homme de prostration morale et d’atonie mortuaire.

Nous sommes forcés de parler, autrement l’on ne se douterait jamais de ce que ces hommes généreux enterrent de beau et de sublime au fond de leur poitrine, de ce qu’ils vont ensevelir sous les neiges de l’exil où leur tombe même ne portera pas leur nom criminel, que leurs amis sauront garder au fond de leur cœur, mais qu’ils n’oseront jamais proférer à haute voix.

Comment! A peine avons-nous ouvert la bouche, à peine avons-nous épelé quelques mots de nos désirs et de nos espérances, que déjà l’on nous impose le silence, que déjà l’on voudrait fermer le cercueil sur le berceau de notre parole? C’est impossible.

Il y a pour la pensée un degré de maturité, où elle ne peut plus se laisser garrotter ni par les liens de la censure, ni par des considérations de prudence. La propagande devient alors passion; et suffit-il de chuchoter à l’oreille, là où l’on n’est pas sûr de briser la léthargie à coups de tocsin?

Depuis l’insurrection des strélitz jusqu’à la conjuration du 14 décembre, il n’y a pas eu en Russie de révolte politique sérieuse. La raison en est bien simple; il n’existait pas dans le peuple de tendances émancipatrices fortement prononcées; en plusieurs choses l’on se mettait d’accord avec le gouvernement, en beaucoup d’autres le gouvernement avait devancé la nation. Les paysans seuls, exclus des avantages du régime impérial, opprimés plus que jamais, essayèrent un soulèvement. La Russie, depuis l’Oural jusqu’à Penza, Simbirsk et Kazan, tomba, pour quelques mois, au pouvoir de Pougatcheff. L’armée impériale se vit repoussée, battue par les Cosaques, et le général Bibikoff envoyé de Pétersbourg pour prendre le commandement, écrivait, si je ne me trompe, de Nijni, les paroles suivantes: «Les affaires vont très mal; ce que je redoute le plus ce ne sont pas les hordes armées des insurgés, c’est l’esprit du peuple qui est mauvais, très mauvais».

Après des efforts inouïs, l’insurrection finit par être écrasée. Le peuple tomba dans un abattement sans bornes; il se tut et laissa faire.

La noblesse en attendant se développait pendant ce triste sommeil du peuple; la civilisation commençait à pénétrer plus avant dans les intelligences, et comme preuve vivante de cette maturité politique du développement moral, impliquant nécessairement l’action, parurent ces hommes admirables, ces héros, ainsi que vous les nommez à juste titre, qui «seuls, dans la gueule même du dragon, tentèrent le coup hardi du 14 décembre».

Leur défaite, la terreur du règne actuel, firent rentrer au fond de l’âme toute idée expansive, refoulèrent toute tentative précoce. Des questions d’un autre genre surgirent; l’on ne voulait plus exposer sa vie pour l’espoir d’une constitution, l’on s’apercevait qu’une Charte conquise à Pétersbourg se briserait sous Je parjure du souverain; le sort de la constitution polonaise servait d’exemple.

Pendant une dizaine d’années, l’on poursuivait un travail intellectuel sans énoncer une seule parole, et l’on est arrivé enfin à un tel malaise, à une telle inquiétude, «que l’on payait par sa vie entière le bonheur d’être libre un instant» et de pouvoir dire à haute voix une partie de sa pensée.

Les uns jetèrent leur fortune avec cette légèreté, cette insouciance, qui n’appartiennent qu’aux Polonais et à nous, et s’en allèrent demander ailleurs une distraction à leur affaissement; d’autres incapables de surmonter le dégoût du régime de Pétersbourg, s’enterrèrent au fond de leurs campagnes. La jeunesse donna tête baissée, qui dans le panslavisme, qui dans la philosophie allemande, qui dans l’histoire ou dans l’économie politique; en un mot, personne de ceux qui étaient appelés à la vie intellectuelle en Russie, n’a pu ni voulu rester tranquille et sta-tionnaire.

L’affaire récente de Pétrachefski envoyé aux mines à perpétuité, et de ses amis déportés en 1849, qui, à deux pas du Palais d’hiver, formèrent plusieurs clubs révolutionnaires, ne prouve-t-elle pas suffisamment par l’audacieuse imprudence des victimes, par l’improbabilité évidente du succès, que le temps des méditations passe, que l’agitation déborde l’âme, que l’on aime mieux courir la chance d’une perte certaine, que de rester témoin muet, impassible, de l’ordre de Pétersbourg?

Une légende fort populaire en Russie raconte qu’un tzar, soupçonnant la fidélité de son épouse, ordonna de l’enfermer avec son fils dans un tonneau. Le monarque fit ensuite goudronner le tonneau et le fit jeter à la mer.

Durant de longues années le tonneau flottait sur les vagues.

Cependant, le tzarévitch grandissait et commençait, de sa tête et de ses pieds, à toucher les deux fonds du tonneau. Le manque d’espace le gênait chaque jour davantage. Un jour il dit à sa mère: «Souveraine ma mère, permets-moi de m’étendre de toute la longueur de mes membres».

«Tzarévitch, mon fils, – répondit la mère, – prends garde défaire ce que tu dis; le tonneau crèverait et tu périrais dans les ondes salées». Le tzarévitch se tut pour un moment; puis, après avoir bien réfléchi, il reprit encore: «Je m’étendrai, ma mère; mieux vaut s’étendre une fois librement et périr ensuite».

Je viens de vous raconter, Monsieur, notre histoire.

Malheur à la Russie, si elle ne trouve plus de ces hommes téméraires, qui commettront des imprudences au risque de payer d’une perte imminente le plaisir de s’étendre une fois librement.

Nous sommes loin de cette crainte…

Le nom de Michel Bakounine me vient involontairement à l’esprit. Bakounine a fourni à l’Europe un témoignage de la pratique révolutionnaire d’un Russe.

Je me suis senti profondément ému, Monsieur, des belles paroles que vous lui adressez; malheureusement ces paroles ne lui parviendront plus.

Le crime international a été consommé; la Saxe a livré la victime à l’Autriche, le Habsbourg Га repassée à Nicolas. Bakounine, on me l’écrit de Pétersbourg, se trouve entre les mains de la Russie. Il est à Shlusselbourg[62], dans cette forteresse d’horrible mémoire où l’on tenait jadis enfermé comme une bête fauve l’enfant royal Jean, petit-fils du tzar Alexis, assassiné par Catherine II, cette femme qui, les mains teintes encore du sang de son époux, tua le prisonnier, et fit décapiter ensuite le malheureux officier, exécuteur fidèle de sa consigne.

Dans cette forteresse humide, baignée par les eaux glacées du Ladoga, point d’illusion, point d’espérance!

Qu’il s’endorme donc du dernier sommeil, qu’il meure, car il est impossible de le sauver. Martyr trahi par deux gouvernements traîtres, et dont chacun conserve dans ses mains sanglantes des ambeaux de sa chair…

Que son nom soit béni, vengé… et par qui?.

…Nous aussi, nous tomberons au milieu de notre route; mais alors, de votre voix austère, grave et sonore, vous rappellerez encore une fois à nos enfants qu’ils ont une dette a payer…

Je m’arrête au souvenir de ce martyr. C’est en son nom et au a mien que

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