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Полное собрание сочинений. Том 20. Статьи из Колокола и другие произведения 1867-1869 годов

ses amis, partit pour

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Moscou dans une kibitka attelée de chevaux de poste. Il dormit jusque passé le premier relais. Au second, à Sophia, il dut faire toutes sortes de démarches pour obtenir des chevaux, et sans doute cette circonstance le réveilla tout à fait, car lorsqu’il fut emporté par trois chevaux frais, faisant sonner leurs grelots, il se mit, au lieu de dormir, à écouter la chanson du postillon, en respirant l’air frais du matin. Alors d’étranges idées s’empa¬rèrent de cet homme. Voici ses paroles:

«Mon postillon a entonné, comme à l’ordinaire, une chanson pleine de mélancolie. Quiconque connaît les chansons populaires russes comprend bien qu’elles révèlent une secrète douleur morale. La musique de presque toutes ces chansons exprime la tendresse. Cette disposition musicale du peuple renferme peut-être de profonds enseignements pour ceux qui tiennent les rênes du gouvernement. On y trouve l’expression réelle de l’état de l’âme du peuple. Considérez attentivement un Russe, et vous le trouverez triste. Pour dissiper son ennui, il va au cabaret… Le pauvre diable de paysan qui va au cabaret en branlant la tête et qui en revient couvert de sang et de meurtrissures, peut servir à expliquer bien des points de l’histoire russe qui, jusqu’à présent, sont restés à l’état de problèmes».

Le postillon continue sa chanson mélancolique; le voyageur suit toujours son idée, et avant d’arriver à Tchoudovo, il se rappelle tout à coup qu’un jour, à Saint-Pétersbourg il a frappé son domestique Pétrouchka pour s’être grisé; il se met alors à pleurer comme un enfant et, sans égard pour l’honneur de la noblesse, il a l’impudeur d’écrire cette phrase: «Oh! s’il m’avait rendu mes coups!»

Dans cette chanson, dans ces larmes, dans ces paroles perdues sur une grande route entre deux relais de poste — il y avait un punctum saliens — un premier cri de conscience.

L’impératrice Catherine avait compris la chose, elle daigna dire «avec chaleur et sensibilité» à Khrapovitsky: «Radichtcheff est un rebelle plus dangereux que Pougatcheff !»

Il serait puéril de s’étonner qu’elle l’ait envoyé chargé de chaînes à la prison d’Ilimsk. Il faut bien plutôt s’étonner que Paul l’en ait fait sortir; mais il ne le fit que par haine pour sa défunte mère…

A partir de ce moment, on voit de temps en temps briller quelques éclairs sans tonnerre qui se perdent de suite dans les ténèbres du firmament. On voit surgir quelques hommes qui semblent la vivante incarnation d’un remords historique, ré¬dempteurs impuissants, victimes innocentes souffrant le martyre pour les péchés de leurs pères. Beaucoup d’entre eux étaient prêts A tout donner, à tout sacrifier, mais il n’y avait ni autels ni prêtres pour recevoir leur sacrifice. Les uns frappèrent aux portes du palais des tzars et les supplièrent à deux genoux de taire un retour sur eux-mêmes; leurs paroles semblèrent impressionner les monarques, mais il n’en résultait rien; les autres frappèrent à la porte des chaumières, mais ils ne purent faire rien comprendre au pay¬san tant leur langage était différent du sien. Le paysan regarda d’un air refrogné et méfiant «ces Danaos lui apportant des présents», et ils s’éloignèrent de lui le cœur gonflé d’affliction et de regrets en reconnaissant qu’ils n’avaient plus de patrie.

Orphelins de la pensée, étrangers dans leur propre pays, isolés les uns des autres, ces quatre ou cinq héros de la Russie périrent dans l’oisiveté, entourés d’indifférence, de haine et d’ignorance. Novikoff et Radichtcheff, mis en liberté — virent la Russie de Paul Ier. Beau spectacle — en vérité!

…Il n’est donc nullement étonnant que tous aient levé des regards d’espoir vers Alexandre.

Jeune, beau de sa personne, Alexandre avec son air doux et rêveur, avec son extrême affabilité, était fait pour les charmer. Ne souffrait-il pas comme eux des maux de la Russie? Ne voulait-il pas comme eux les guérir?.. Et qui plus est, il pouvait les guérir, comme ils le croyaient.

Et Radichtcheff, qui avait payé d’un si long emprisonnement sa compassion pour le peuple russe, va avec la même foi que Karazine offrir le secours de ses forces au jeune empereur, qui l’accepte. Radichtcheff se met à l’œuvre avec ardeur et il compose toute une série de projets de lois devant conduire à l’abolition du servage et des peines corporelles. Puis tout à coup il rencontre sur son chemin, non pas un postillon cette fois, mais le comte Zava-dovsky, qui lui conseille «de ne plus rêver»; il reste court, le doute et l’effroi s’emparent de lui; il réfléchit, réfléchit toujours, et enfin se verse un verre de vitriol et l’avale. Alexandre lui envoya

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Willier, son propre médecin, mais il était trop tard. Willier se borna à dire en voyant les traits de l’agonisant: «Cet homme devait être bien malheureux!»

— Oui, bien malheureux en effet!

C’était pendant l’automne de 1802, Karazine était alors dans toute sa force; il avait très bien connu Radichtcheff, à qui il avait même un jour égaré tout un cahier de projets, mais la fin tragique de Radichtcheff n’était pas faite pour l’effrayer. Exilé du palais il y revient cinq, dix, vingt et même trente ans plus tard avec son projet d’affranchissement

des paysans et de représentation de la classe noble, qui devait révolutionner l’empire du haut en bas. Enfin, sans s’apercevoir que Nicolas règne déjà, il frappe aussi à sa porte et explique à ce brave caporal «qu’il s’élève des tempêtes, qu’il peut arriver des malheurs et qu’il faut faire des concessions pour sauvegarder le trône». Et il ne peut arriver à comprendre pourquoi Alexandre l’a fait jeter, en 1820, dans une forteresse et pourquoi Benkendorf, le chef de la police, l’a fait chasser de l’antichambre de Nicolas par des gendarmes.

Spéransky aurait pu lui dire comment les collines escarpée? de la plate ville de Pétersbourg éteignent l’ardeur du meilleur coursier, et font de lui une vénérable rosse d’attelage se prélassant gravement sous le harnais.

Mais comment ces gens pouvaient-ils se tromper à ce point, ou pourquoi Alexandre les trompait-il? Alexandre ne les trompait pas. Nous n’avons aucun droit, au moins jusqu’à 1807, de-douter de son désir sincère d’améliorer le sort de ses sujets et de protéger les paysans contre les abus des propriétaires, contre les. abus des fonctionnaires, contre la prévarication des juges et contre l’injustice des forts. Alexandre ne considérait pas exclusivement comme le but de son règne le maintien et l’augmentation de sa puissance, comme aurait pu le faire un Nicolas quelconque. Il ne voulait pas que sa parole produisît l’effet d’une dose de strychnine, il voulait être craint, mais aussi être aimé. Dans les instants même où il était le plus surexcité, il était capable non pas. seulement d’écouter l’avis d’autrui, mais encore de l’accepter. En 1812, après avoir décidé que Spéransky, très innocent, serait fusillé dans les vingt-quatre heures, il lui fit grâce de ce supplice insensé à la suite d’une conversation avec l’académicien Parrot.

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Tout cela est vrai, mais quant à faire quelque chose de bon dans; l’intérêt du peuple russe, il ne le pouvait pas. C’est cette impuis-aiice qui constitue le côté tragique de son rôle.

Et qui sait d’ailleurs s’il ne s’est pas lancé dans des guerres, pxtérieures parce qu’il commençait à voir distinctement le cercle-de fer qui l’entourait, s’élargissant quand il ordonnait une levée-de troupes ou quand il augmentait les charges du peuple, et se rétrécissant immédiatement dès qu’il faisait quelque chose pour le peuple? Il devient indécis, un sentiment de méfiance à l’égard des autres et de lui-même pèse sur lui; son hésitation croît après chaque défaite et après chaque victoire. Il revient de Paris plein d’un sombre mysticisme, — il ne voulait plus réformer ni améliorer; il rappelle Spéranski, mais ses projets restent relégués, dans les archives, et lorsque Engelhardt lui parle de certaines, mesures d’ordre à introduire dans l’administration civile, il lui répond tristement: «Où trouverons-nous des hommes?»

Il était fatigué de la puissance; il n’avait plus besoin de gloire, il ne demandait plus que la tranquillité, et parmi tous ses ministres et ses dignitaires, parmi ses généraux couverts de gloire, parmi tous ceux qui l’approchaient, il a choisi un bourreau sans. âme, Araktchéieif, et lui a livré la Russie… Il s’est même arrangé pour qu’après la mort de ce bourreau elle passât entre les mains d’un autre Araktchéieff.

Il ne croyait pas à la noblesse et il ne connaissait pas le peuple. Comment s’en étonner si l’on considère qu’il avait à ses côtés, des hommes comme Spéransky et son adversaire Karamzine, comme Chichkoff, le précurseur du slavisme, qui tous pouvaient connaître le peuple, mais qui ne le connaissaient pas? Comment s’en étonner lorsque les hommes les

plus sages de l’empire, comme Mordvinoff, parlaient de la noblesse comme de l’unique soutien du trône; lorsque des sénateurs honnêtes, comme Lopoukhine, se révoltaient à la seule idée de l’affranchissement des paysans?-

Il est fâcheux qu’Alexandre ait été un peu sourd et qu’il n’ait Pas eu le goût de voyager seul en poste sur les grandes routes; peut-être lui aussi aurait-il été réveillé un matin par la chanson,, d un postillon et peut-être y aurait-il trouvé ce qu’il ne trouvait. Pas dans I’Eckartshausen, c’est-à-dire la clé des mystères du peuple.

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…Alexandre devait, pour connaître le peuple russe, faire plus que de tuer son père, il devait aussi renier la «très sage Catherine» et «Pierre le Grand»; renier enfin toute sa parenté et toute sa race. Il devait encore — c’est dur à avouer — il devait renier Laharpe, qui avait, il est vrai, le désir d’en faire un homme, mais qui n’aurait jamais compris «que le pauvre diable de paysan qui va au cabaret d’un air morne et qui en sort le visage ensanglanté peut fournir plus de données sur l’histoire de la Russie que l’ensemble de tous les faits politiques de son gouvernement».

IV

Faremo

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ses amis, partit pour 172 Moscou dans une kibitka attelée de chevaux de poste. Il dormit jusque passé le premier relais. Au second, à Sophia, il dut faire toutes sortes