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Полное собрание сочинений. Том 20. Статьи из Колокола и другие произведения 1867-1869 годов

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Lorsque les portes du cabinet de l’empereur furent fermées pour Karazine, il fit encore une tentative et profita du droit qui lui restait de lui écrire. Mais le marquis Poza n’avait plus d’intérêt pour notre Don Carlos couronné; en outre, des questions d’une autre importance absorbaient et occupaient alors Alexandre: il se mesurait avec Napoléon et se préparait à la guerre qui devait finir par Austerlitz.

Karazine, de son côté, se met à s’occuper d’autre chose et, comme un amant repoussé, se jette par dépit amoureux dans des travaux de toute sorte pour tromper et lasser son activité. Dans son esprit ardent et inquiet passent, se succèdent et se combinent des mondes de pensées, des plans politiques et agronomiques, des théories scientifiques, des observations, des projets de machines et d’appareils, des procédés nouveaux pour la distillation de l’eau-de-vie et le tannage perfectionné des cuirs, des essais d’agriculture à l’aide de la colonisation étrangère, un moyen facile de conserver les fruits par la dessiccation, etc. La guerre commence, Karazine écrit aussitôt un mémoire sur les moyens d’augmenter la production du salpêtre; il fait des conserves de viande et en même temps s’efforce d’établir des observatoires d’astronomie pour toute la Russie. En 1808, il pose dans les termes les plus précis et les plus conformes aux données scientifiques, des problèmes de météorologie que la science actuelle n’a pas encore pu résoudre; il cherche les moyens d’utiliser l’électricité de l’atmosphère;

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il fonde une société polytechnique en Ukraine, s’occupe de son université de Kharkov, etc., etc.

Mais la pensée principale, le grand tourment et le mobile réel de sa vie ne sont pas là.

En perfectionnant la fabrication de l’eau-de-vie et en s’efforçant de trouver l’emploi de l’électricité, Karazine suit à la piste avec passion d’autres événements, cherche d’autres paratonnerres… et le temps marche, marche toujours.

Il y a déjà vingt ans qu’Alexandre est monté sur le trône. Que de choses se sont passées depuis le jour où il lisait avec des larmes aux yeux la lettre de Karazine… Tilsit et l’année 1812, Moscou et Paris, le congrès de Vienne et Sainte-Hélène. L’opinion publique, éveillée par le fracas de tant de coups de canon et de tant de luttes, s’est mise à marcher en avant et le gouvernement s’est laissé distancer. Alexandre n’a pas tenu ses promesses. Le mécontentement se fait sentir. La nation, désappointée de n’avoir reçu que la lourde prose du manifeste de Chichkoff comme prix de tant de sang versé par elle, murmure en apprenant qu’on va faire une nouvelle levée de troupes destinées à soutenir une guerre insensée pour le maintien du joug autrichien en Italie, et à recom¬mencer la glorieuse mais absurde campagne de Souvaroff.

La jeunesse énergique et éclairée jette des regards mornes vers l’avenir. Karazine voit tout cela et continue à croire qu’Alexandre peut et veut prévenir l’orage qui se forme à l’horizon.

Au commencement de l’année 1820, Alexandre fit remise au beau-père de Karazine d’une dette vis-à-vis du trésor. Karazine sollicita la permission de venir en témoigner lui-même sa reconnaissance à l’empereur, — on lui répondit par un refus. Karazine écrivit alors à l’empereur une lettre dont voici un passage:

«Je n’ai aujourd’hui rien de particulier à écrire à Votre Majesté; je la prierai seulement de demander au comte Ko-tchoubey une note de quelques pages que j’ai écrite pour lui, le 31 mars, à l’occasion d’une conversation que nous avions eue ensemble, et aussi au conseiller d’Etat actuel, prince Viazemsky, une lettre que le marchand Rogoff lui a écrite, le 1er avril, et qu’il m’a lue il y a peu de jours. Je n’ai pu voir sans effroi entre moi et un homme aussi éloigné de moi sous tous les rapports, une aussi parfaite similitude

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de pensées sur tous les points qui me préoccupent sans cesse depuis 1817, c’est-à-dire depuis l’époque où j’ai eu la hardiesse d’avouer mes préoccupations à Votre Majesté dans la lettre que je lui ai adressée de l’Ukraine. Je me suis souvenu malgré moi que, de même en France, on a entendu retentir de tous les côtés, comme un écho, la voix des hommes bien intentionnés, à l’approche du terrible bouleversement, et que de même cette voix a été méprisée! „Il est singulier que, dans ce siècle de lumières, les souverains ne voient venir l’orage que quand il éclate”, disait Napoléon à Las Cazas à Sainte-Hélène (p. 93, § CCCLVII). Un si étrange accord d’esprits différents et n’ayant rien de commun entre eux, mérite l’attention; il doit y avoir dans ces prévisions quelque chose de juste, d’autant plus que, depuis quelque temps, on voit les mêmes sentiments se manifester distinctement dans les sociétés des deux capitales de la Russie! Il suffit que la moitié, ou seulement une partie quelconque de semblables prévisions soit fondée!»

«…Le temps, — dit-il, — dans la note remise à V. P. Kotchoubey par ordre de l’empereur, — le temps raffermira l’édifice aujourd’hui ébranlé de notre empire, le temps remplacera le respect religieux pour le trône par un autre respect fondé sur les lois.

Sans doute les choses traîneront en longueur un ou deux ans encore, peut-être même plus longtemps, mais c’est pour cela même que j’écris aujourd’hui, c’est cela même qui me donne la hardiesse de tout dire. Mon sort doit être ou d’aller en exil au delà du Baïkal pendant qu’on peut encore exiler, ou de mourir les armes à la main en défendant la dernière porte des appartements de mon souverain. Alors je n’écrirai plus».

Karazine supplie l’empereur «de ne pas ajouter foi aux gouverneurs de provinces qui lui disent que tout va bien, que tout est comme par le passé. Un grand changement, — dit¬il, — s’est fait et se fait tous les jours dans les esprits…» Dans l’histoire du régiment Séménovsky, où il justifie et admire les soldats, il voit clairement «un degré de l’échelle que dresse pour nous l’esprit du siècle».

Mais quels sont ses moyens de conjurer la foudre? Les voici: «Affranchir graduellement les paysans et convoquer une réunion

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de députés élus par toute la noblesse, pour représenter l’opinion publique dans le conseil privé du gouvernement». Karazine croit que ce conseil «pourra tout sauver sans que le pouvoir monarchique ait à souffrir aucune atteinte, si toutefois on s’y prend à temps. Ainsi, mon pays, tu peux, du bord de l’abîme, être sauvé par une sincere et fraternelle alliance de ton empereur avec sa noblesse/ Que la volonté de Dieu soit donc faite!

…Que peut d’ailleurs risquer l’autocratie à se confier à une classe dont les destinées sont si étroitement unies aux siennes?

…Toutes les mesures dont peuvent disposer la censure de la police et la censure cléricale sont impuissantes à étouffer les idées qui se répandent aujourd’hui. Une rigueur excessive ne fait, que révolter le cœur de l’homme. Une corde trop tendue finit par rompre subitement. Je vois d’avance dans beaucoup de nos roturiers et de nos affranchis des scélérats qui dépasseront Robespierre* Il existe même parmi les nobles des hommes qui, ayant dissipé leur fortune, élevés dans le vice et dans de mauvais principes et mécontents de leur sort, sont naturellement tout prêts à se joindre à la populace. L’époque de Pougatcheff, de la révolte de Moscou sous Eropkine, et les germes d’anarchie qui se sont manifestés lors de l’invasion, en 1812, dans diverses localités des gouvernements de Moscou et de Kalouga (?), suffisent pour faire prévoir ce que sera notre populace lorsqu’elle aura la liberté d’.abuser de l’eau-de-vie! Malheur a nous! le trône sombrera dans le sang de la noblesse!»

A ce cri d’effroi et d’alarme, l’empereur Alexandre ordonna à V. P. Kotchoubey de demander à Karazine «des détails, des preuves, des noms», en d’autres termes une dénonciation. «Le Trajan et le Marc-Aurèle» se démasquait après vingt ans de règne!

Karazine refusa. L’empereur le fit emprisonner dans une forteresse, puis lui fixa comme résidence sa propriété de la Petite-Russie.

Pourquoi?

«Parce qu’il s’était mêlé de ce qui ne le regardait pas»; mais karazine ne pouvait pas comprendre cela. «Depuis quand, — dit-il, — les affaires du pays où je vis, où vivront mes enfants et mes petits-enfants, ont-elles cessé d’être mes propres

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affaires?xlii[42] A quel système asiatique a donc été empruntée une idée pareille? Instruire le gouvernement, c’est une expression inventée pour blesser l’amour-propre des personnes qui composent le gouvernement et rien de plus. Dans ce cas, on doit considérer comme encore bien plus coupables les auteurs qui font des livres sur le meilleur système de législation et de finances. La vie de tous les hommes se passe à distribuer des enseignements et à en recevoir. Le gouvernement est un centre vers lequel doivent nécessairement confluer toutes les idées ayant trait au bien commun. Malheur à nous si nous nous mettons à disserter sur la place publique, comme les autres peuples/.. Y a-t-il donc aujourd’hui tant de gens en Russie qui veulent, qui sachent et qui osent dire quoi que ce soit au gouvernement? Il peut être tranquille à cet égard-là: on ne l’importunera pas/»

Quoi qu’il en soit, Karazine fut jeté en prison et put y méditer à loisir cette vérité: qu’il est plus dangereux de sauver les puissants de ce monde que de les pousser dans l’abîme.

Pendant les nuits sans sommeil que Karazine passait à écrire ses rapsodies politiques — d’autres hommes à l’esprit actif veillaient aussi dans les casernes de la garde, à l’état-major du deuxième corps d’armée et dans les anciennes maisons seigneuriales de Moscou. Ils devinaient qu’Alexandre s’arrêterait après avoir bégayé deux ou trois phrases libérales, et qu’il n’y avait place au Palais d’Hiver ni pour un marquis Poza, ni pour un Struenzée; ils comprenaient que le salut du peuple ne pouvait lui venir de cette chambre, d’où partait l’institution des colonies militaires. Ils n’attendaient

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da noi Lorsque les portes du cabinet de l'empereur furent fermées pour Karazine, il fit encore une tentative et profita du droit qui lui restait de lui écrire. Mais le