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Полное собрание сочинений. Том 20. Статьи из Колокола и другие произведения 1867-1869 годов

plus facile¬ment libéraux, constitutionnels, démocrates et jacobins que populaires. On peut se mettre, sans grand effort, au courant de toutes ces nuances politiques, tout cela est commenté, expliqué, mentionné, imprimé et relié… Mais ici il faut marcher à l’aventure. La vie russe est une forêt comme celle où Dante s’était égaré; elle est aussi peuplée de bêtes féroces, mais on n’y trouve pas de Virgile; nous y avons rencontré seulement quelques Soussanine moscovites qui, au lieu de nous emmener dans une maison de pay¬san, nous ont conduit à une chapelle de cimetière…

Quiconque ne connaît pas le peuple, peut l’opprimer, l’assujettir, le conquérir, mais ne peut pas l’affranchir.

Ni le tzar aidé de ses scribes, ni la noblesse aidée du tzar, ni la noblesse sans le secours du tzar, n’affranchiront le peuple sans la participation du peuple lui-même.

Ce qui se passe aujourd’hui en Russie doit ouvrir les yeux aux aveugles. Le peuple a supporté le terrible fardeau du droit de servage sans avoir jamais reconnu ce droit comme légal. En voyant qu’il avait la force contre lui, il s’est tû. Mais aussitôt qu’on a voulu l’affranchir sans le consulter, il a commencé par murmurer, puis il a opposé aux nouvelles mesures une force d inertie significative, et enfin a fini par en arriver presque à la rebellion ouverte. Et pourtant évidemment sa position s’est améliorée. Quels signes nouveaux nos civilisateurs attendent-ils encore?

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Celui-là seul sera le fiancé de l’avenir qui, lorsqu’il sera appelé à agir, saura à la fois comprendre la vie du peuple et utiliser les enseignements de la science, qui étudiera les tendances du peuple et consacrera à leur réalisation son influence dans les affaires générales du pays.

De nombreux exemples sont là pour nous prouver surabondamment la vérité de cet enseignement: c’est d’abord la figure mélancolique d’Alexandre Ier, qui semble porter difficilement le poids de la couronne impériale; c’est Radichtcheff avec son verre de poison; c’est Karazine traversant le Palais d’Hiver comme un météore en feu; c’est Spéransky, brillant pendant des aunées entières d’une lumière pâle, sans chaleur ni reflets; ce sont enfin nos saints martyrs du 14 décembre.

Qui donc sera ce prédestiné?

Sera-ce un empereur qui, rejetant les moyens de Pierre Ier, se posera à la fois en tzar et en Stenka Razine? Sera-ce un nouveau Pestel ou un autre Emilien Pougatcheff, cosaque, tzar et schis-matique, ou un prophète insurgé, comme Antoine, le paysan fusillé de Bezdna?

C’est difficile à dire, c’est un détail. Qui que ce soit, notre devoir est de marcher à sa rencontre et de lui souhaiter la bienvenue/

CHAPITRE II

UN CONSPIRATEUR DE 1825

(JEAN YAKOUCHKINE)

Nous prions nos lecteurs de bien se rappeler que ces études ne sont nullement une histoire de la grande conspiration de 1825. Ce ne sont que des fragments, des traits isolés des esquisses, des pages détachées des mémoires et des notes écrites par J. Yakouchkine, Bestoujeff, les princes Troubetzkoï, Obolensky, etc. Nous n’avons fait qu’ajouter quelques détails et quelques généralités. Autant que possible, nous avons tâché de conserver les propres paroles de ces hommes héroïques, qui les écrivaient, d’une main enchaînée, au fond de la Sibérie orientale.

C’est dans ce but que nous n’avons pas fondu en une monographie les divers mémoires; au contraire, nous leur avons con-

servé leur individualité, quoique cela nous entraînât parfois à des répétitions.

Le chapitre présent est extrait de la première partie des mémoires de Jean Yakouchkine. Nous ne sommes jamais parvenus à avoir la seconde, qui nous a été positivement promise par nos amis, plus riches en amitié qu’en exactitude.

Il y a d’étranges accapareurs, qui pensent naïvement que des mémoires pareils peuvent être une propriété privée. Non seulement des parents et des héritiers, mais des personnes qui ont obtenu, par un hasard heureux, une copie, la mettent sous clé, jouant ainsi le rôle peu généreux du caniche qui gardait avec une avarice jalouse le foin dont il ne se servait pas.

I

Les destinées de l’Empire russe s’accomplirent le jour de l’entrée triomphale d’Alexandre Ier à Paris, escorté par une escouade de princes, parmi lesquels il y avait un empereur d’Autriche et un roide Prusse.

Nec plus ultra!

Dès ce jour, l’empire pour l’empire était fini, il fallait chercher d’autres bases pour le soutenir, d’autres éléments pour le développer, et ils commençaient à poindre.

L’Empire russe, habillé à l’allemande par Pierre Ier, heurta longtemps aux portes de l’Europe, en demandant une place au banquet de ses souverains, avant de les voir s’ouvrir. Les Bourbons regardaient avec dédain l’hyperboréen parvenu. Cent ans après, les mêmes Bourbons allaient être remis sur leur trône par un tzar russe et une armée russe. L’empire ne voulait que s’affirmer, être reconnu, il s’imposait maintenant comme force majeure et protectrice.

L’oeuvre de Pierre Ier était consommée. L’autocratie de Pétersbourg avait encore une chose à accomplir, elle l’a accomplie à demi beaucoup plus tard. Sa tâche est épuisée, elle ne peut continuer à exister qu’en se métamorphosant. La guerre même ne serait qu’un palliatif.

Immédiatement après la victoire, un vide accablant, inquiétant se fit sentir autour du trône. L’âme était tourmentée. Alexandre le sentit le premier; il était loin d’être seul. Il devenait

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rêveur et triste, un remords, des mécomptes, un pressentiment le-troublaient. Il abandonnait furtivement l’armée, le conseil de rois, les fêtes du congrès, et courait

s’agenouiller en une prière d’extase avec la baronne Krüdner, qui d’amie de m-me Tallien, devint illuminée, exaltée, fanatique.

La jeunesse militaire devenait pensive et préoccupée au milieu des lauriers et des ovations. Il y avait quelque chose de douloureux dans le contraste de la patrie victorieuse au dehors et écrasée au dedans. La comparaison de la Russie avec la France et les autres pays se présentait tout naturellement. En deux ans de guerre, l’éducation des jeunes officiers fit un progrès immense; ils grandirent d’une tête et revenaient plus sérieux que leurs-vieux pères, courtisans frivoles et serviles, qui ne les comprenaient pas et les regardaient avec étonnement. C’est qu’ils étaient non seulement plus sérieux, mais plus susceptibles, plus irascibles et moins endurants — bien loin de cet esprit d’obéissance passive et d’adoration perpétuelle du pouvoir qui distinguait si bien la noblesse russe.

Ils n’avaient pas oublié leur patrie, ils ne lui avaient pas préféré d’autres pays; au contraire, ce sont eux qui aimaient la Russie… «mais d’un étrange amour», comme dit le poète. Ils ont appris sur les champs de bataille à reconnaître l’homme dans le soldat; ils rougissaient de lui appliquer la bastonnade, ils rougissaient d’avoir des serfs, ils frémissaient d’indignation qu’eux-mêmes n’avaient absolument aucun droit humain à opposer à la toute-puissance du pouvoir.

La même secousse qui réveilla et grandit les officiers agit d’une manière funeste sur l’empereur. Plus sombre et plus méfiant que jamais, son cœur se gâta; son mysticisme noir tournait à la manie et n’empêchait en rien les mauvais penchants de son cœur. Un mépris profond, une haine prononcée pour tout-ce qui était russe s’emparait de lui. Libéral, humain en Europe, en Pologne, il devenait en Russie un despote implacable, mesquin et fatigué. «Il était dépaysé à la maison, il était hors de son élément». Il ne comprenait pas la Russie et commençait à s’en apercevoir. Il voulait jadis sincèrement le bien de son peuple et ne put rien faire. Pour se venger, il l’humiliait de toutes les manières, sans cacher son dépit.

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Le duc de Wellington, à la revue sur la plaine des Vertus, ayant fait un compliment au tzar sur la tenue irréprochable des troupes russes, Alexandre lui répondit: «J’ai beaucoup d’étrangers à mon service, je leur dois cela».

L’aide de camp comte Ogérovsky racontait avec étonnement à ses collègues qu’en présence de quelques personnes l’empereur s’était écrié: «Lorsqu’un Russe n’est pas un imbécile, c’est un coquin». Et cela à Paris, en 1814.

Voyant que tout ce qu’il faisait ne laissait pas de racines, que la seule chose qui lui avait réussi c’était la guerre, Alexandre avait une rancune profonde, non contre la bureaucratie cupide, corrompue, non contre la noblesse ignare, avide et puissante, qui paralysaient tout ce qu’il voulait faire, mais contre le peuple, le grand inconnu, muet, malheureux, inerte, passif, qui n’acceptait rien des Danaos dona ferentes. Dégoûté de tout cela, Alexandre se détourna des affaires et se jeta avec frénésie dans la marsoma-nie des parades, uniformes, évolutions, exercices militaires à pas accéléré et à pas de cigogne, — maladie héréditaire dans la famille Holstein-Gottorp depuis le Gamaschen caporal et empereur Pierre III.

Nous allons voir dans le récit d’un jeune officier de la garde, rentrant en Russie après la campagne de 1814, où en était déjà l’empereur.

Cet officier, c’est l’excellent, l’énergique JEAN YAKOUCHKINE lui-même.

La première chose qui le frappe à son retour en Russie, c’est qu’au moment du débarquement des troupes à Oranienbaum, la police, pour faire place aux bataillons, donne des coups de poing à droite et à gauche aux hommes accourus pour souhaiter la bienvenue aux soldats. Le cœur du jeune homme se serra. Tel était — le premier accueil.

Le second ne tarda pas à arriver. Yakouchkine alla en habit civil avec le comte Tolstoï voir l’entrée triomphale de la neuvième division de la garde impériale. L’impératrice- mère attendait dans une voiture de parade avec une des grandes-duchesses près d’un arc, expressément construit pour cette solennité. L’empereur sortit lui-même à la rencontre des troupes pour se mettre a leur tête. Yakouchkine était à deux pas de la voiture impériale,

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des flots de peuple couvraient la route et les abords. L’empereur parut enfin devant les régiments, monté sur un cheval magnifique; il s’approchait, beau et rayonnant, l’épée nue à la main. Mais au moment où il voulait saluer sa mère en baissant l’épée un malheureux paysan, poussé par derrière et voulant mieux voir, rompit la haie et traversa en courant la rue à quelque distance devant l’empereur. Alors celui-ci,

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plus facile¬ment libéraux, constitutionnels, démocrates et jacobins que populaires. On peut se mettre, sans grand effort, au courant de toutes ces nuances politiques, tout cela est commenté, expliqué, mentionné, imprimé