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Полное собрание сочинений. Том 20. Статьи из Колокола и другие произведения 1867-1869 годов

commandement de l’état-major. Un seul homme indépendant, lié avec l’empereur depuis sa jeunesse, restait debout, c’était le prince Alexandre Galitzine, ministre de l’instruction et des cultes. L’évincer n’était pas facile, Araktchéieff concentra toutes ses forces et l’écrasa avec éclat et une mise en scène hors ligne.

Le prince Galitzine était un homme médiocre, corrompu et piétiste, courtisan et illuminé; c’est lui qui avait introduit les sociétés bibliques en Russie et la théologie dans l’enseignement universitaire. Devenu ministre de l’instruction publique, il commença une guerre acharnée, une persécution insensée contre la science laïque, les professeurs indépendants, les livres non piétistes. Il trouva un renégat du voltairianisme en Russie, un homme qui voulait faire à tout prix sa carrière, et l’associa à ses travaux. Le ministère de l’instruction se changea en inquisition. Magnitzky dénonçait non seulement des professeurs qu’on démissionnait, mais des branches entières de science. Le Droit naturel fut supprimé, l’Histoire moderne mise à l’index. La médecine était obligée d’être chrétienne et d’enseigner que la maladie n’était qu’une conséquence nécessaire du péché originel. On faisait des perquisitions, des arrestations des professeurs, non seulement des gymnases et des universités, mais des écoles

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militaires, des lycées, sous les yeux de l’empereur, qui avec se» frères en était le chef nominal.

L’Université de Kazan était complètement minée par Magnitzky. L’Université de Pétersbourg attendait le même sort de son curateur Rounitch.

Et c’est ce moment de la terreur que choisit Araktchéieff pour agir. Ne pensez pas qu’il allait arrêter cette folle main frappant la science, qu’il allait ouvrir les yeux de l’empereur; tout le contraire, il le poussa dans un abîme encore plus profond, et l’arrachant de l’influence des semi-luthériens, il le-passa dans les mains calleuses d’un clergé national, sauvage,, grossier et ignare.

Il prit trois associés pour son coup de théâtre.

Un moine fourbe, rongé d’ambition, astucieux, audacieux, comédien consommé, dominicain par le cœur, intrigant par envie, et deux vieillards demi-fous et fanatiques sincères. L’un était le vieil amiral Chichkoff, l’adversaire de Karamzine, l’adversaire de toutes les innovations, slavophile un quart de siècle avant l’invention du panslavisme; honnête homme capable de faire des dénonciations sans trop de scrupule et de tremper niaisement dans les scélératesses, toujours en vue de la gloire de l’Eglise grecque et des races slaves. L’autre était le métropolitain de Pétersbourg lui-même, Séraphin. C’était un véritable évêque byzantin, une de ces têtes vénérables à cheveux blancs qu’on voit sur les vieux tableaux et sur le mont Athos, qui imposent et qui cachent sous leur crâne épais une incapacité parfaite, un fanatisme incurable et stationnaire. Après avoir officié toute la vie, ces gens prennent la liturgie pour la réalité et le rituel pour le sacro-saint delà religion; ils poussent la religion vers le fétichisme et la foi jusqu’à l’idolâtrie. L’intelligence devient complètement impuissante à saisir quelque chose qui ne porte pas le cachet de l’Esprit Saint. Et dans le cas donné, non seulement le cachet de l’Esprit Saint en général, mais spécialement celui du paraclète grec. Le métropolitain de Pétersbourg et l’amiral philologue, ces deux «enfants» de soixante-dix et quelques années, guidés, poussés et galvanisés par le jeune Loyola de Novgorod, dans les mains d’Araktchéieff formaient une force énorme.

Galitzine inonde la Russie de traductions de l’Evangile du

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vieux slave en russe moderne. Les vieux orthodoxes virent dans cette vulgarisation de la parole divine une profanation sacrilège Ils flairèrent du protestantisme dans les bibles, dans la société biblique et dans le piétisme tout allemand du prince-ministre

Photius, choyé et entouré de dames aristocratiques, prêchait contre l’invasion de l’esprit moderne dans les salons’. L’amiral Chichkoff pérorait dans les académies et les sociétés littéraires, en voyant des mémoires fulminants à l’empereur. Le métropolitain se taisait et préparait pour coup de grâce un bélier d’une autre force.

Les choses vinrent au point que le saint énergumène de Novgorod, rencontrant le prince Galitzine chez la comtesse Orloffli[51] célèbre par sa bigoterie et les dons immenses qu’elle fit au couvent de Photius, commença directement à l’attaquer. Le prince ne se rendit pas et répliqua. Alors le moine se leva, pâle, tremblant, il arrêta ses yeux étincelants sous un front bas et petit, et lui dit:«Tu ne veux pas écouter l’appel… tu veux la lutte, nous verrons qui de nous est le plus fort… et dès ce moment, sois maudit, je prononce l’anathème contre toi». Le prince, terrifié, ne fit rien.

Il était perdu. Dans ces cas, il faut immédiatement frapper ou recevoir le coup.

Quelques jours après, à une heure insolite pour des audiences officielles, à six heures après le dîner, Pétersbourg vit avec étonnement la voiture de parade du métropolitain parcourir la ville et s’arrêter devant la grande entrée du Palais d’Hiver. Sa sainteté demandait à être introduite chez l’empereur,d’urgence et à l’instant même. Tout le palais ébahi, en émoi, la foule se rassemblant sur la place, et le vieillard à cheveux blancs donnant à droite et à gauche sa bénédiction. L’empereur, qui ne se doutait de rien,

étonné, effrayé, le reçut dans son cabinet de travail. Le vieux prêtre, tenant un livre à la main, fléchit les genoux devant l’empereur et se prosterna à ses pieds; d’une voix pleine de larmes il lui dit que: «le temps est venu, pour lui, tzar orthodoxe, de sauver l’orthodoxie; l’Eglise est en danger! Il faut immédiatement éloigner l’apostat».

L’empereur, alarmé, promit tout.

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Le livre était l’œuvre la plus inoffensive et la plus ennuyeuse du monde : s’était la traduction d’un recueil d’articles pieux du pasteur anglican Gasser, qui se trouvait à Pétersbourg.

Ce recueil était imprimé par la société biblique, d’après l’ordre du ministre. Magnitzky, trahissant son chef et son bienfaiteur, vola par l’intermédiaire d’un prote, qu’il avait suborné, des feuilles de l’ouvrage et les porta chez le vieux fanatique comme preuves de propagande luthérienne.

Galitzine, de persécuteur devint persécuté. Alexandre tombait complètement sous l’influence d’un clergé idolâtre, grossier et ignorant. C’était déjà l’aube de l’Eglise nationale, l’Eglise de l’empereur Nicolas, intronisée par lui, sanctifiée par les Slavophiles de Moscou, et qui projette maintenant les ombres noires de ses cinq coupoles byzantines sur toute la Russie.

Chichkoff fut nommé ministre de l’instruction publique.

Alexandre resta deux heures en tête à tête, enfermé dans son cabinet, avec Photius. Le moine en sortit impassible, comme il était entré. Nul ne saura de quoi les deux hommes ont parlé…

Depuis cette crise commence l’agonie d’Alexandre Ier.

Il s’éclipse, devient presque invisible, s’éloigne du monde, fuit les fêtes et les réceptions, visite seul des couvents, tourne les grandes villes par des traverses, et s’il n’y en a pas, les laisse faire ad hoc. En 1824, il apparaît pour un instant à Moscoulii[52], et s’en va mourir à Taganrog… Comme nous en avons parlé dans le chapitre précédent.

Les coups de canon du 14/26 décembre 1825 étaient son requiem mélancolique et étrange.

III

Yakouchkine ne parle pas du 14/26 décembre 1825. Il n’était pas à Pétersbourg ce jour grand et tragique.

Nous verrons dans les mémoires du prince Serge Troubetzkoï que la journée était parfaitement motivée, quoique elle soit ve-

nue comme par surprise. Nous verrons quelque détails donnée par J Poustchine et Nicolas Bestoujeff.

Maintenant nous suivrons le récit de notre auteur.

Après une tentative échouée pour soulever les troupes à Moscou, profitant de la confusion du second serment, Yakouchkine resta tranquille à Moscou, et ce n’est que le 10/22 janvier qu’il fut arrêté, immédiatement envoyé à Pétersbourg et enfermé au rez-de- chaussée du Palais d’Hiver. — «Le lendemain soir on me mena, — dit Yakouchkine, — à l’Ermitage. Dans un coin de la grande salle des tableaux, sous le portrait de Clément IX, se trouvait le général Lévachoff, assis devant une table de jeu. Il me montra une chaise vis-à-vis de lui et commença par la question: „Avez-vous appartenu à la société secrète?» Je répondis affirmativement.

— Quels actes connaissez-vous de la société?

— Des actes… je n’en connais aucun.

— Monsieur, vous ne devez pas présumer que nous ne savons rien. L’événement du 14/26 décembre n’était qu’une explosion prématurée. Vous savez très bien qu’en 1818 encore vous deviez tuer l’empereur Alexandre.

Cela me donna à penser. Je ne croyais pas que la discussion dans notre petit comité fût connue.

— J’ajouterai quelques détails, — continua Lévachoff. — Parmi les personnes qui étaient présentes et qui projetaient le régicide, c’est votre nom que le sort désigna comme exécuteur.

— Pardon, général, je me suis offert moi-même pour porter le coup.

Lévachoff inscrivit mes paroles.

— Maintenant, je vous prie de me nommer ceux de vos complices qui étaient présents à ce conciliabule.

— Il m’est impossible de le faire; en entrant dans la société secrète, j’ai donné ma parole de ne jamais nommer les personnes.

— On vous forcera. Je dois vous dire que nous avons en Russie la torture.

— Je suis très reconnaissant à Votre Excellence de la confidence que vous me faites, et je sens, dans ce cas, plus que jamai le devoir de ne nommer personne.

— Pour cette fois, — dit le général, en français, — je ne vous narle pas comme votre juge, mais comme un gentilhomme, votre égal, et je ne conçois pas pourquoi vous voulez être martyr pour des gens qui vous ont trahi et vous ont nommé.

— Je ne suis pas ici pour juger la conduite de mes camarades, et je ne dois penser qu’à remplir les engagements que j’ai pris en entrant dans la société.

— Tous vos collègues ont déposé que le but de la société était le changement du gouvernement autocratique en gouvernement représentatif.

— Cela peut bien être.

— Mais quelle est donc la constitution qu’on voulait introduire?

— Je ne saurais vous trop préciser, général.

— De quoi vous êtes-vous donc occupé dans la société?

— Je m’occupais spécialement de la recherche des moyens d’émancipation des paysans.

— Eh bien, que dites-vous à ce sujet?

— Je dirai que c’est un nœud que le gouvernement

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