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Полное собрание сочинений. Том 20. Статьи из Колокола и другие произведения 1867-1869 годов

mère, qui quittait Pétersbourg. L’idée de ne plus revoir son fils tourmentait la pauvre femme, elle ne pouvait se défaire du pressentiment qu’il allait à une perte sûre:

«—Sois circonspect, mon ami, —lui disait-elle, — tu es si imprudent… Le gouvernement est soupçonneux, des espions sont partout aux aguets, et toi — tu as l’air de te complaire à les provoquer en attirant sur toi leur attention.

— Vous avez tort, maman, — répondit Ryléïeff, — mon but est au-dessus des taquineries et des provocations à l’adresse de quelques misérables agents de la police. Je suis dissimulé, car j’ai besoin qu’on me laisse tranquille pour agir. Si je parle à cœur ouvert avec mes amis, c’est que notre cause est la même, et si

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je ne me cache pas de vous, c’est qu’au fond, chère mère, vous partagez nos convictions.

— Cher Conrad, tu l’avoues toi-même que tu as des projets sinistres. Tu vas au- devant de la mort, sans même le cacher à ta mère.

Elle fondit en larmes.

— Il ne m’aime pas, — dit-elle en se tournant vers moi et me prenant la main. — Vous qui êtes son ami, tâchez donc de le dissuader… Si quelque malheur arrive, moi je ne lui survivrai pas. Je sais que Dieu peut le reprendre à chaque instant, mais attirer sur soi-même le malheur…

Elle ne put continuer.

— Mère, — dit Ryléïeff, — ce n’était pas mon intention de vous parler de ces choses, de vous troubler, mais je vois bien que vous avez tout deviné. Eh bien! oui, je suis membre d’une société qui a pour but de renverser le gouvernement.

La mère pâlit, et sa main que je tenais devint froide.

— Ne vous effrayez pas et écoutez-moi avec calme. Nos intentions paraissent téméraires, terribles à celui qui les consi dère à distance sans s’en pénétrer, sans bien envisager notre but; il ne voit que les dangers qui nous menacent. Mais vous, ma mère, vous devez voir la chose de plus près et mieux connaître votre fils. Et d’abord, ma mère, est-ce que ce n’est pas vous qui m’avez fait entrer au service militaire? Vous m’avez donc vous-même voué aux dangers et à la mort. Pourquoi n’aviez-vous pas tant de crainte en me faisant soldat? Les honneurs qui pourraient m’échoir auraient-ils atténué votre douleur ou calmé vos craintes? Non… Le monopole de la gloire militaire passe, nous entrons dans l’époque du courage civique. Eh bien! je verserai mon sang pour acquérir les droits de l’homme à mes compatriotes. Si je réussis, je serai récompensé au delà de mon mérite. Si je succombe et que mes contemporains ne me comprennent pas, vous, ma mère, vous m’apprécierez, moi et la pureté de mes intentions, et la postérité inscrira mon nom parmi ceux qui se sont sacrifiés pour le bien-être des hommes. Ainsi, courage, ma mère, et donnez-moi votre bénédiction.

Je n’ai jamais vu Ryléïeff aussi éloquent; ses yeux étincelaienti sa figure s’illumina. Sa mère était entraînée, subjuguée par lui;

elle souriait sans pouvoir retenir ses larmes. Elle inclina la tête rie son fils, mit la mainau-dessus, et avec une expression de douleur et de bonheur, d’angoisse et de contentement intérieur elle le bénit; mais la douleur prenant le dessus, elle dit en sanglotant: „Tout cela est bien… mais je ne veux pas lui survivre!”»

Saints et sublimes fanatiques! Faut-il les pleurer ou leur porter envie!

Emporté comme le Christ à son Golgotha, Ryléïeff continuait de prêcher comme lui, connaissant sa destinée; mais, simple mortel, sa séparation avec sa mère est plus humaine.

Poète-citoyen — il était l’un et l’autre dans chaque poème, chaque strophe, chaque vers. Tout est pénétré de ce sentiment de dévouement, d’amour complet et de haine ardentelx[60].

Jeune homme sans appui, il s’attaqua au monstre, devant lequel tremblait tout le pays — à Araktchéieff.

«On ne peut s’imaginer l’étonnement, la stupéfaction des habitants de Pétersbourg à la lecture de cette poésie. Tout le monde attendait avec anxiété par quoi se terminerait cette lutte d’un enfant avec un géant. L’orage passa par-dessus sa tête. L’engourdissement de terreur se dissipa alors et un murmure d’approbation fut la récompense du jeune poète vengeur. La carrière politique de Ryléïeff date de cette poésie».

Il fut remarqué par tout le monde. C’était le temps où la société commençait à se lasser d’un arbitraire sans frein. Une fois membre de la société secrète, le bouillant jeune homme devint tout autre. De poète audacieux, qui jette sur la place publique des malédictions contre un favori redouté, il devient poète prédicateur, prêchant la grande lutte.

Ryléïeff (comme Michel Bakounine) commença son service par l’artillerie; il le quitta bientôt et se retira dans une petite propriété qu’il avait près de Pétersbourg. Il était jeune et marié. En peu de temps il acquit une grande estime parmi ses voisins, qui l’élurent aux fonctions d’un des juges de la cour criminelle, à Pétersbourg.

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C’est dans cette charge qu’il acquit une grande popularité parmi le peuple, et Bestoujeff raconte une anecdote très caractéristique à cet égard.

«Un jour, d’après quelques soupçons, on arrêta un petit, bourgeois de Pétersbourg. Comme il n’avouait rien, on l’amena devant le comte Miloradovitch — alors gouverneur général de Saint-Pétersbourg. Le pauvre diable persistait à nier, probablement il était

innocent. Miloradovitch, fatigué de ses dénégations, lui déclara qu’il le livrerait à la cour criminelle (il le fit pour l’intimider, connaissant la profonde aversion des gens du peuple pour le tribunal) — mais tout au contraire le bourgeois tomba à ses pieds et le remercia avec des larmes aux yeux pour la grâce qu’il lui faisait.

— Quelle diable de grâce? — demande Miloradovitch stupéfié.

— Votre Excellence, vous voulez m’envoyer devant le tribunal, eh bien! — je suis sûr que le tribunal terminera toutes mes tribulations en m’acquittant. Il y a parmi les juges un monsieur Ryléïeff, il ne condamnera pas un innocent».

Dans une affaire qui a eu dans le temps un grand retentissement Ryléïeff se faisant l’avocat des paysans du prince Rasoumovsky, gagna le procès en faveur des paysans contre le gré non seulement des puissants, mais de l’empereur même.

Aimé avec passion par ses amis, Ryléïeff devint le cœur, le centre ardent et attractif de la Société du Nord. Sans être précisément éloquent — il entraînait tout le monde avec une puissance irrésistible. «Avant d’avoir parlé», il s’emparait déjà de son interlocuteur par ses yeux et par l’expression de ses traits.

…Devant la Commission, Ryléïeff prit sur lui toute la responsabilité du 14/26 décembre. Il s’accusait pour faciliter à ses amis la défense. Pourtant il faut convenir qu’il était un des promoteurs principaux et un des acteurs les plus actifs de cette journéelxi[61].

On ne s’attendait nullement à la mort de l’empereur Alexandre. Réveillés en sursaut par cette nouvelle, les membres de la Société furent encore plus frappés par la seconde. Le bruit

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je l’abdication de Constantin gagnait du terrain, et pourtant on lui prêtait serment dans toute la Russie. Nicolas voulait hâtivement s’emparer du trône, mais il trouva une vigoureuse résistance dans le général Miloradovitch. Les soldats murmuraient de ce qu’on leur avait caché jusqu’au dernier moment la maladie d’Alexandre et son testament. Un manifeste parut, pour annoncer l’abdication du césarévitch; le manifeste, qui déliait du serment de fidélité prêté à Constantin, ne portait pas sa signature, mais bien celle de son frère cadet, qui allait s’emparer du trône. Tout cela troublait les esprits.

Ryléïeff et quelques-uns de ses amis, en petit nombre, voulurent voir de leurs propres yeux où l’on en était. A la nuit tombante (cela pouvait être le 10 ou le 22 décembre), ils s’en allèrent de part et d’autre parler aux soldats; ils leur disaient que l’on cachait le testament de l’empereur défunt par lequel les serfs recevaient la liberté, les soldats ne serviraient dans les rangs que quinze ans. Ils trouvèrent les soldats tout prêts, et les nouvelles se répandirent avec une grande rapidité, comme ils l’avaient constaté le lendemain matin. Il était impossible de perdre une telle occasion.

«Je ne crois pas au succès, — disait Ryléïeff à N. Bestoujeff, — mais le moment est propice; dans tous les cas il faut risquer et oser. Si nous périssons, nous donnerons un exemple qui réveillera».

Le 12 décembre Ryléïeff apprit qu’un jeune officier, Rostovtzeff, appartenant à la Société, a eu une entrevue avec Nicolas, et sans dénoncer les personnes lui a fait part des projets de soulèvement, etc.

— Dans ce cas, qu’y a-t-il à faire? — demanda Ryléïeff à N. Bestoujeff.

— Ne communiquer à personne la nouvelle et agir immédiatement. Mieux vaut être pris sur la place publique que dans son Ut. Au moins on saura ce que nous voulons et pourquoi nous périssons, — répondit Bestoujeff.

Ryléïeff se jeta à son cou.

— J’étais sûr, — lui dit-il, — que tu le dirais, je suis encore plus sûr que nous allons à notre perte, n’importe, en avantl

L’idée de Ryléïeff, simple et parfaitement juste, était de réunir au plus vite les troupes dévouées et de marcher sans perdre

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de temps au Palais d’Hiver. Il était facile de s’en emparer à l’improviste, ayant avec soi des soldats de la garde qui connaissaient toutes les issues. Les militaires trouvèrent tant d’objections que ce plan, peut-être le seul possible, fut abandonné; on se décida à faire une insurrection sur la place d’Isaac.

De grand matin, le 14/26, Bestoujeff vint chercher Ryléïeff. Il l’attendait déjà. Ils s’embrassèrent et voulurent sortir, lorsque éperdue, sanglotant, la femme de Ryléïeff leur barra le chemin.

Elle saisit la main de Bestoujeff et s’écria:

— Laissez-moi mon mari, ne l’emmenez pas, il va à sa perte, il va à sa perte! Nastia, viens, prie ton père pour moi, pour toi.

Et la petite de Ryléïeff, toute en larmes, embrassait les genoux de son père.

Sa femme, se sentant mal, inclina sa tête sur la

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mère, qui quittait Pétersbourg. L'idée de ne plus revoir son fils tourmentait la pauvre femme, elle ne pouvait se défaire du pressentiment qu'il allait à une perte sûre: «—Sois circonspect,