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Полное собрание сочинений. Том 20. Статьи из Колокола и другие произведения 1867-1869 годов

— nous n’avons rien à revendiquer, à exhumer, nous n’avons, qu’à déblayer le champ pour nos aptitudes et nos tendances. Pourtant nous étions cœur et âme avec les Polonais, et nous n’avions qu’une angoisse: nous appréhendions que leur insurrection n’entravât notre marche, sans atteindre le but. Nos prévisions se réalisèrent, et le hideux Mou-ravioff, après avoir fini avec la Lithuanie, fut appelé à présider une inquisition politique à Pétersbourg. L’unité de la terreur et du bourreau a confondu les martyrs de deux causes.

Lorsque les passions se calmèrent — on put aisément constater, à travers les sanglots et les cris de rage, deux jaits. Vous êtes convaincus de l’un, nous n’avons aucun doute quant à l’autre. L’un, c’est que la Pologne polonaise n’a pas péri; l’autre, c’est que le mouvement russe n’a pas été arrêté- C’est un fait très grave, et nous ne demandons qu’une enquête pour constater notre erreur ou admettre que nous avons raison. Au lieu de le-faire, on jette des cris d’alarme et d’exaspération, on invente des offenses ethnographiques, on accable la Russie à coups de philologie frelatée. On la chasse de l’Europe, on la chasse des Iraniens. Est-ce sérieux tout cela?

Nos braves ennemis ne savent pas même que nous sommes très peu vulnérables de ce côté; nous sommes au-dessus des susceptibilités zoologiques et très indifférents à la pureté de race; ce qui ne nous empêche nullement d’être parfaitement Slaves. Nous sommes contents d’avoir du sang finnois et mongol dans les veines; cela nous met en parenté, en rapport de fraternité avec ces races parias, que la démocratie humanitaire de l’Europe ne peut nommer sans dédain et offense. Aussi nous n’avons pas à nous plaindre de l’élément touranien. Nous avons poussé un peu plus loin que les purs Slaves de la Bulgarie, Serbie, etc.

On nous chasse de l’Europe — comme le bon Dieu a chassé Adam du Paradis. Mais est-ce qu’on est bien sûr que nous prenons l’Europe pour un Eden et le titre d’Européen pour un titre d’honneur? On se trompe fortement de temps. Nous ne rougissons Pas d’être de l’Asie, et nous n’avons aucun besoin de nous annexer à droite ou à gauche. Nous nous suffisons, nous sommes une-Partie du monde entre l’Amérique et l’Europe, et c’est assez pour

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nous. Peut-être les Allemands de Pétersbourg se scandalisent-ils fortement de la perte de leur slavisme pur, de leur iranisme japhétique, et sont-ils profondément offensés de ce qu’on ne veut pas d’eux en Europe. — Peut-être les enragés de Moscou, pour comble de ridicule, commenceront-ils une lutte scientifique— cela ne nous regarde pas du tout.

Et c’est grâce à vous, nos maîtres de l’Occident, grâce à votre science que nous avons tant de philosophie. Arriérés en tout, nous avons été en apprentissage chez vous—et nous n’avons pas rebroussé chemin devant les conséquences qui vous ont fait dévier. Nous ne cachons pas le bien que nous avons reçu de vous. Nous prîmes votre lumière pour éclairer l’horreur de notre position, pour chercher une porte ouverte, pour en sortir — et nous l’avons trouvée grâce à vous. Cest assez maintenant — que nous savons marcher seuls — de férule du maître, et si vous nous maltraitez — adieu l’école!

Mais avant de nous quitter «en cérémonie», dites-nous: pourquoi voulez-vous à toute force vous faire un ennemi du jeune Ours? — Est-ce qu’il ne vous suffit pas de guerroyer avec le vieux, qui nous est plus hostile qu’à vous et que nous haïssons plus que vous ne le haïssez? Pensez à cela que le vieux dépend beaucoup plus de vous que le jeune; il n’est pas libre moralement, vous pesez sur lui par votre autorité. Il murmure, il boude, mais il s’offense de vos critiques, parce qu’il vous respecte et

vous craint — non votre force physique, mais votre supériorité intellectuelle, votre morgue aristocratique. La bosse de la vénération nous manque; nous n’avons pas le même sentiment de respect pour tout ce qui est occidental. Nous vous avons vus, dans des moments, bien faibles. La seule chose que nous estimons chez vous, sans bornes, religieusement, c’est la science. Mais la science, c’est tout l’opposé de vos institutions, de votre intolérance, «de votre Etat, de votre morale, de vos croyances. Vous avez l’art de couvrir, par vos aspirations généreuses, par vos sublimes inconséquences, l’abîme qui sépare la vie de la science — mais l’abîme reste.

Nous vous avons vus de trop près et nous vous connaissons — nous sommes habitués à vous aimer et à vous connaître — vous nous ignorez et vous nous niez. — Nous protestons.

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Sentinelles perdues à la limite de deux mondes, que l’on excite à se ruer l’un contre l’autre, appartenant par mille liens aux deux, nous ne pouvons pas nous taire et nous nous hasardons encore une fois à signaler la fausse route et à crier du haut de notre guérite: «Gare à l’erreur!»iv[4]

II

Nous voulons commencer par dire, le plus brièvement possible, comment l’état actuel de la civilisation occidentale se reflète dans notre intelligence d’étrangers, de spectateurs, d’hommes formés par votre science, mais qui ayant une autre origine et une autre tradition — vont leur chemin très difficile — sans admirer le vôtre. Vous êtes peu habitués à entendre les opinions qui vien nent du dehors. Vous avez été si longtemps la civilisation et toute la civilisation, la seule grande histoire et le seul grand présent, que les Anacharsis intimidés n’osaient dire franchement leur opinion; et lorsque vous vous mettez vous-mêmes dans leur rôle, en écrivant des lettres persanes, turques, américaines et autres, vous ne faites que la critique des détails. Si quelquefois vous dites une vérité désagréable, gare à celui qui touche la reine, n’étant pas de la famille!

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Les temps ont changé rapidement. L’auréole qui vous entourait n’offusque plus la vue. Votre règne unitaire et incontesté est troublé par une voisine peu commode et remuante. On se tourne vers sa nouvelle maison, au delà de l’Océan — on trouve qu’elle vous continue en vous accomplissant; vous avez beaucoup promis, elle tient beaucoup; l’idéal est à vous, la réalisation à elle.

Votre civilisation est comme une mer qui déborde, elle ne peut ni rester dans son ancien lit, ni dépasser les limites fatales. Elle se heurte de tous côtés à des rochers qu’elle ne peut ni engloutir, ni dépasser, ni entraîner; de là une étrange confusion, une agitation stérile; on attaque — on est refoulé, et fiasco sur fiasco.

Vous ne pouvez entrer dans un nouveau lit sans jeter au loin vos vieilles hardes, et vous voulez les garder. Vous êtes trop avares pour céder une partie de l’héritage et vous n’avez, non plus, assez d’abnégation pour vous résigner au repos honorable d’une reine douairière, qui oubliant la royauté ne s’occupe plus que de son ménage. Vous restez en conséquence dans un état de fluctuation provisoire; vous êtes, sans le savoir, sincèrement hypocrites, et vous vous contentez des mois, sans avoir la réalité.

Les formes et les bases de l’organisation actuelle de l’Etat, de la société — telles qu’elles se sont élaborées, au fur et à mesure, par l’histoire, sans unité ni plan — ne correspondent plus aux exigences de l’Etat rationnel qui s’est formulé dans la science et conscience d’une minorité active et développée.

Tout ce que les vieilles formes avaient d’élasticité, elles l’ont prêté; toutes les combinaisons, tous les compromis ont été faits. Les réformes ne peuvent aller plus loin sans les faire éclater, sans ébranler les bases éternelles de la société. Il faut que l’esprit recule et avoue, avec une humilité toute chrétienne, que son idéal «n’est pas de ce monde», ou se décide à briser les formes et à ne plus s’inquiéter du sort des bases éternelles.

Ces bases éternelles ne sont rien autre que les bases très temporelles d’une organisation bicéphale, hybride — d’un Etat exféodal, bourgeois et militaire — d’un compromis flottant entre les extrêmes — d’une diagonale peu sûre entre la liberté et l’autorité, d’un éclectisme social et politique — neutralisant toute initiative. Vers ce juste milieu gravissent, en oscillant, les nations civilisées. Celles qui ont vaincu les forces perturbatrices,

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comme la Hollande, se trouvent très bien. Il est possible que les peuples latino-germaniques n’iront pas plus loin, que c’est leur état définitif. Les rêves d’un passé, les rêves d’un avenir les troublent encore et ne leur permettent pas de s’asseoir carrément dans leur position. Ces remords platoniques se calmeront comme les douleurs des chrétiens se calmèrent à l’endroit des péchés du genre humain — ils resteront comme de beaux souvenirs, des pia desideria, comme un romantisme généreux, comme la prière du riche pour les pauvres. Il n’y a au reste aucune nécessité absolue que l’idéal formulé se réalise dans une telle localité ou dans une autre, pourvu qu’il se réalise. Est-ce que l’Inde n’est pas restée dans le rôle de Mère et la Judée dans celui de Jean le précurseur? On ne s’arrête pas où l’on veut, mais là où les forces manquent, où la plasticité, l’énergie manquent. Nous ne voulons nullement dire que le monde latino-germanique soit exclu de la nouvelle palingênésie sociale, qu’il a lui-même révélée au monde. Tous sont invités par la nature et par l’histoire, mais il est impossible d’entrer dans le nouveau monde, en portant, comme Atlas, le vieux monde sur ses épaules. Il faut mourir «dans le vieux Adam» pour ressusciter dans le nouveau—c’est-à-dire il faut passer par une révolution réellement radicale.

Nous savons très bien qu’il n’est pas facile de définir, d’une manière concrète et simple, ce que nous entendons par révolution radicale. Prenons encore une fois le seul exemple que l’histoire nous offre: la révolution chrétienne.

Le monde de la «ville éternelle» s’en allait, battu par les Barbares, par l’épuisement, succombant sous le

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— nous n'avons rien à revendiquer, à exhumer, nous n'avons, qu'à déblayer le champ pour nos aptitudes et nos tendances. Pourtant nous étions cœur et âme avec les Polonais, et