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Полное собрание сочинений. Том 20. Статьи из Колокола и другие произведения 1867-1869 годов

poitrine de Ryléïeff; il la posa doucement sur un sopha; elle était évanouie, et s’arrachant de l’enfant il se précipita dehors.

«Nous nous séparâmes. J’arrivai assez tard sur la place, amenant avec moi l’équipage de la garde. Ryléïeff me serra sur son cœur, c’était notre baiser de liberté.

(On a trouvé encore, après le décès de N. Bestoujeff, quelques fragments se rapportant à la journée du 14/26 décembre 1825. Un de ces fragments continue évidemment les souvenirs sur Ryléïeff, un second appartient à un autre manuscrit. L’incident décrit est extrêmement dramatique. Mais où est le commencement? où est la suite? Quel malheur irrémédiable si nous avons perdu ce saint héritage d’un des meilleurs, des plus énergiques acteurs de la grande conspiration! Voici le premier fragment): 

— Nos prévisions s’accomplissent, — me dit-il, — nos derniers moments s’approchent, mais aussi c’est notre premier souffle d’indépendance, et pour cet instant je donne volontiers ma vie.

Ces paroles sont les dernières que Ryléïeff m’ait adressées».

Bestoujeff le revit encore sept mois après. Tous deux étaient dans les casemates du ravelin d’Alexis sans se voir, bien entendu. Une fois, après le souper, le caporal qui servait Bestoujeff ouvrit

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]a porte; au moment même Ryléïeff passait sous escorte pour prendre l’air. Bestoujeff écarta le caporal et se jeta au cou de Ryléïeff — on les sépara.

Ce fut leur adieu. Quelques jours après, l’archiprêtre lui racontait le carmen horrendum, comme il l’a fait à Yakouchkine.

II

«…Mon épée était depuis longtemps dans le fourreau.

Je me tenais dans l’intervalle du carré formé par le régiment de Moscou et l’équipage de la garde. Enfonçant mon chapeau et me croisant les bras, je pensais aux paroles de Ryléïeff: „Que nous respirions l’air de la liberté”, et je voyais que cet air commençait à manquer. Les cris des soldats ressemblaient plutôt aux cris suprêmes d’une agonie. Nous étions entourés de tous côtés; l’inactivité dans laquelle nous restions glaça les cœurs, remplit d’effroi les esprits; celui qui s’arrête à mi-chemin est déjà à demi-vaincu.

Un vent perçant et froid venait de son côté geler le sang des soldats et des officiers, si longtemps exposés sur une place découverte… L’attaque contre nous cessa, le „hourrah!» des soldats devint moins fréquent. Le jour tombait, tout à coup nous vîmes les régiments s’écarter des deux côtés pour faire place à l’artillerie. Les bouches des canons étaient braquées contre nous, tristement éclairées par les crépuscules grisâtres d’une soirée d’hiver.

Le métropolitain vint lui-même nous admonester et s’en retourna sans succès. Le général Souhosanet s’approcha en montrant l’artillerie;on lui cria à haute voix qu’il était „un pleutre». — C’étaient les derniers efforts de notre indépendance.

Le premier coup de canon retentit, la mitraille se répandit en soulevant la neige et la poussière, en frappant la rue et les maisons; quelques hommes tombèrent du front; des spectateurs inoffensifs qui se tenaient sous la colonnade du Sénat furent blessés ou tués. Sept hommes de nos rangs, tués instantanément, tombèrent comme évanouis; je n’ai pas vu de convulsions, je aai pas entendu de cris — telle était la force de la mitraille à cette petite distance. Un silence absolu régnait parmi les vivants et les morts. D’autres coups de canon jetèrent par terre un tas de soldats et d’hommes du peuple. Les carreaux, les châssis

des fenêtres tombaient avec fracas, et avec eux tombaient silencieusement des hommes qui restaient raides et sans mouvement-j’étais comme pétrifié à ma place en attendant le coup qui m’emporterait. L’existence en ce moment me parut si accablante, si amère que je souhaitai la mort. Le sort en décida autrement. Après le cinquième, le sixième coup, la colonne s’ébranla. Lorsque je revins à moi, la place entre moi et la colonne qui fuyait était vide d’hommes et couverte de tués; je rejoignis la colonne en me frayant un chemin entre des cadavres. Il n’y avait ni cris, ni plaintes, mais on entendait la neige fondant sous le sang chaud et l’on voyait ensuite le sang se convertir en glace.

Un escadron de chevaliers-gardes se mit à notre poursuite; entrant dans une rue étroite (Galernaïa), les masses l’encombrèrent. C ‘est là que j’atteignis les grenadiers de la garde et rencontrai mon frère Alexandre. Nous arrêtâmes quelques dizaines d’hommes pour faire face à une attaque et couvrir la retraite, mais l’empereur préféra tirer des coups de canon tout le long de la rue. La mitraille atteignait mieux que les chevaux, et nous fûmes forcés de nous disperser. A chaque pas on voyait tomber des soldats et des hommes du peuple; les soldats frappaient aux portes des maisons, se cachaient derrière les murs, où la mitraille les atteignait par ricochet, en rebondissant des murs opposés. C’est ainsi que la colonne et la masse du peuple, criblées de coups, atteignirent le croisement de la rue par une autre rue, où elles étaient attendues par une partie du régiment des grenadiers de Paul.

Ayant perdu de vue mon frère, j’entrai dans une porte co-chère entr’ouverte, et je me trouvai en face du maître de la maison. Deux individus bien habillés se précipitèrent en même temps vers la porte; mais au moment où l’un d’eux entrait, un coup de mitraille l’étendit devant nous. Son corps nous barra le chemin. Avant que j’aie eu le temps de me baisser et de relever sa tête, il était mort: le sang jaillissait de deux côtés, de la poitrine et du dos. „Mon Dieu, — s’écria le propriétaire, — n’y a-t-il pas moyen de le secourir”. Je lui montrai la plaie qui traversait de part en part le jeune homme.

„Que la volonté de Dieu s’accomplisse. Entrons vite chez moi, autrement nous risquons que notre nombre ne diminue enco-

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re». Nous traversâmes tous trois la cour; le maître de la maison frappa à la porte: un aboiement fort retentit des chambres, qui semblaient vides.

— Permettez-moi, — nous dit-il, de vous demander, messieurs, qui j’ai l’honneur de recevoir chez moi avant que le domestique me vienne calmer le chien et tirer les verroux.

Je montrai mes epaulettes d’officier supérieur et la croix que je portais.

— Et vous?

Le jeune homme qui avait une très agréable physionomie, lui déclara son nom de famille, qu’à mon grand regret j’ai oublié.

Le domestique, après avoir tiré divers verroux et ouvert des cadenas, montra sa tête.

— Je ne suis pas seul, tiens le chien. — Et en nous donnant une poignée de main il nous invita à entrer. La précaution n’était pas inutile, un énorme chien se débattait, retenu avec peine par le domestique.

Nous entrâmes dans une pièce du rez-de-chaussée, le domestique apporta une bougie, le maître lui ordonna de fermer immédiatement les volets donnant sur le quai et sur la cour, de fermer les portes et de dire à tout le monde qu’il n’y était pas.

Les coups de canon continuaient le long de la rue et de la Neva; on entendait la fusillade de deux côtés. Cela dura une dizaine de minutes; les canons se turent les premiers; les coups de fusil devenaient plus rares et cessèrent bientôt complètement.

On nous offrit du thé sans lait, le propriétaire faisait maigre. Quoique notre conversation roulât sur les terribles événements de la journée, elle était froide et guindée. Nous ne nous connaissions pas, et la méfiance liait les langues. La contrainte perçait à travers la politesse et l’urbanité. Je regardais notre hôte. C ‘était un homme de ma taille, il pouvait avoir quarante-cinq ans, d’une santé robuste, de beaux traits et regardant avec des yeux noirs qui parlaient en faveur de son caractère. Pas un cheveu blanc dans ses cheveux noirs; sur son habit gris on voyait la plaque d’une décoration napolitaine.

Lorsque la tranquillité fut complètement rétablie, et que le domestique qui sortait de temps en temps dans la rue nous dit que l’on ne voyait personne, à l’exception des patrouilles, le

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jeune homme se leva, remercia le maître de la maison, répéta son nom de famille et sortit sur le quai, conduit par le domestique Les convenances ne me permettaient pas de rester plus longtemps mais je pensais que pour moi il était peu sûr encore de quitter la maison. Et lorsque l’hôte s’approcha de moi, après avoir reconduit le jeune homme, comme s’il voulait me le rappeler, je lui dis-

—Vous avez fait une bonne œuvre en nous sauvant de la mitraille, et maintenant le danger d’être blessé ayant cessé, le jeune homme s’en est allé; la politesse m’enjoint de le suivre mais je vous dirai franchement pourquoi j’ai besoin de vous demander encore l’hospitalité pour une heure ou deux: je suis un de ceux qui ont amené sur la place les troupes qui n’ont pas prêté serment à Nicolas.

L’hôte pâlit; un doute, une indécision parcoururent ses traits.

— C’en est fait, —lui dis-je, —voyant sa consternation. —Vous pouvez disposer de moi, me livrer comme un rebelle ou me donner un asile comme à un malheureux que l’on persécute.

Il me tendit la main en disant:

— Restez chez moi autant que cela est nécessaire à votre sécurité.

— Pesez bien votre décision. Outre ce que je vous ai communiqué, il faut que vous sachiez le nom de celui…

— Du tout, du tout, votre malheur suffit. — Et me prenant par la main avec effusion il me fit asseoir.

— Vous êtes un homme généreux, — lui dis-je, — que Dieu vous récompense; quant à moi, je n’abuserai pas de votre

condescendance.

— Passons dans une autre chambre, — me dit-il, — moi j’occupe ordinairement celle-là. En voyant la lumière à travers les fentes, quelqu’un peut venir.

Il me conduisit dans une autre pièce tout encombrée de meubles.

— Ma femme est à la campagne, — me dit-il, — je suis sur mon départ; la maison est vide, à l’exception de ces deux chambres et d’une troisième occupée par mon

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poitrine de Ryléïeff; il la posa doucement sur un sopha; elle était évanouie, et s'arrachant de l'enfant il se précipita dehors. «Nous nous séparâmes. J'arrivai assez tard sur la place,