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Полное собрание сочинений. Том 20. Статьи из Колокола и другие произведения 1867-1869 годов

lequel nous nous trouvions, pendant les trente années de ce règne, était plus douloureux que les malheurs qui tombaient sur notre tête. Nous étions dépaysés, sans racines, ignorant le peuple, détestant la maison paternelle — foyer de persécution des serfs, détestant le gouvernement comme ennemi puissant et féroce de tout développement intellectuel, de tout progrès… nous n’avions, dans notre impuissance, qu’une arme — l’étude, qu’une consolation — l’ironie.

Et c’est l’étude qui nous donna une autre patrie, une autre tradition; c’était la tradition de la grande lutte du XVIIIe siècle. Oh! que nous vous avons aimés, en puisant de toute la force de nos poumons, l’air frais soufflant pour la première fois sur le monde par la grande ouverture de 1789. Nous courbions nos têtes avec vénération devant ces figures sombres et fortes de vos saints pères du grand concile républicain, allant inaugurer l’ère de la raison et de la liberté.

La foi passionnée que la jeunesse russe avait pour la théorie allemande, pour la pratique française, semblait être justifiée «t couronnée en 1848.

Vous connaissez le revers de la médaille. L’année 48 n’était pas encore terminée que nous retournâmes de la Jérusalem moderne comme Luther retournait du Vatican. Encore une fois heimatlos, vagabonds du monde moral, nous restâmes sans point d’appui devant la puissance de l’empereur Nicolas, qui s’était prodigieusement accrue et assombrie.

La main qui nous guidait du dehors, tremblait pour ses trésors et s’efforçait de retourner à bord. Nous l’avons lâchée. C’était notre dernière émancipation, c’était notre nihilisme… Laissant la main, nous nous jetâmes au large, à nos risques et périls, dans la direction qu’elle nous avait désignée.

Les déportés des journées de Juin étaient à peine arrivés à leur destination, lorsqu’une association socialiste était découverte a Pétersbourg. Nicolas sévit avec sa férocité ordinaire. Les individus périrent, les idées restèrent, germèrent. Le caractère dominant du mouvement était si évidemment socialiste, que les deux courants opposés de l’opinion, les deux écoles qui n’avaient rien de commun, l’école scientifique, analytique, réaliste, et l’école nationale, religieuse, historique, étaient d’accord sur

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toutes les questions de la commune rurale et de ses institutions agraires.

Bientôt arriva un troisième collège bien étrange.

Le gouvernement annonça sa ferme volonté d’émanciper les. paysans. Tout le monde était d’accord que le temps d’affranchissement personnel des paysans était venu. Là n’était pas la grande question, le fond était de savoir s’il fallait les émanciper avec la terre qu’ils cultivent ou laisser la terre au seigneur et doter le peuple du droit de vagabondage et de la liberté de mourir de faim. Le gouvernement était indécis, oscillant, n’avait aucune conviction formée et stable. Le tzar penchait pour la dotation, ses conseillers étaient naturellement contre. Dans cet embarras, le gouvernement ouvrit — dans le pays des mystères de chancellerie et de mutisme — des débats presque publics sur cette question vitale. On permit à la presse d’y prendre part, jusqu’à un certain point. Toutes les nuances politiques et littéraires, toutes les écoles — sceptiques et mystiques, socialistes et pansla- vistes, la propagande de Londres et les journaux de Pétersbourg et de Moscou — se réunirent dans une même action pour défendre le droit du paysan à la terre, contre les prétentions d’une minorité oligarchique. La voix du peuple ne manquait non plus; il n’admettait pas même la possibilité de l’émancipation sans terre. Enfin le gouvernement, après de nouvelles oscillations, qui nous faisaient trembler d’anxiété, pencha de notre côté. L’émancipation avec la terre fut décidée en principe. C’est un grand triomphe et un immense pas en avant.

Depuis ce jour le gouvernement n’est plus le maître d’enrayer le mouvement. Pour rebrousser chemin, il faut avoir l’audace d’arracher la terre aux paysans. II y eut peut-être un moment où l’on pouvait en faire l’essai — heureusement il est passé.

La noblesse, trop circonspecte pour s’avancer violemment au moment brûlant et dangereux, lente à se décider, formula son opposition d’impuissance — lorsque la terre du paysan était déjà bien loin.

Les cinq années qui s’écoulèrent depuis la mort de Nicolas et l’apparition du manifeste de l’émancipation des paysans, au mois de mars 1861, forment une grande époque non seulement dans l’histoire de la Russie, mais dans l’histoire du XIXe siècle.

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Oh! que j’ai profondément regretté et regretterai toujours qu’il m’était impossible de voir de mes yeux ce qui se passait alors en Russie.

Tout se tendait de plus en plus, tout se serrait, se resserrait encore davantage; une pression désolante, accablante écrasait sans relâche, avec une uniformité mécanique, et tout d’un coup une rupture — les cordes qui entrent dans les chaires se détendent, les prisonniers voient un beau matin que la porte n’était pas verrouillée; ils ne savent où aller, les uns vont au grand air et retournent dans les cellules. Tout le monde s’est émancipé de son propre gré. Le mot Liberté n’a été prononcé par personne et a été entendu par tout le monde, par l’empereur Alexandre comme par les autres. Il sentait aussi que la lourde surveillance a cessé de peser, oubliant que cette surveillance était lui- même.

La chose était mûre — les formes plièrent, les mots changèrent de sens; on a cessé de croire à la puissance d’institutions devant lesquelles on tremblait hier et qui restaient invariablement les mêmes. La Russie peut encore passer par des phases de tyrannie affreuse, d’un arbitraire sans bornes, mais elle ne peut retourner au régime calme et accablant de Nicolas.

Beaucoup de choses qui vinrent au jour alors, étaient précoces, quelquefois exagérées. Les jeunes forces, comprimées si longtemps, n’ayant aucune issue, aucune direction, et contenues matériellement par une discipline qui n’avait rien d’humain, débordaient; mais au milieu de cette grande orgie matinale se révélèrent des forces non soupçonnées, se conçurent des fruits, qui survivront parfaitement bien l’hiver inclément de la blanche terreur qui continue.

Un des premiers pas de la jeunesse fut l’organisation des écoles de dimanche et des associations d’ouvriers et d’ouvrières. L’atelier, fondé sur les bases socialistes, allait de front avec l’école et frisait naturellement la commune rurale. Le peuple des villages, vivant lui-même dans des associations agraires, avait, depuis des siècles, créé sur une très grande échelle les associations ouvrières. A côté de la commune fixe—l’artel, la commune mobile, l’association ouvrière.

Ces écoles, ces associations, étaient autant de ponts jetés entre la ville et le village, entre les deux états du développement.

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Tout cela a été brisé, écrasé par le gouvernement en peur et fureur, après l’histoire de ces incendies, qui n’a jamais eu de clé. Tout cela renaîtra.

Mais en faisant monter demain cette pierre de Sisyphe, que le tzar se complaît à rouler en bas après-demain, on peut perdre des siècles sans trop avancer. Oui, mais aussi on peut réussir de main en roulant, au lieu de la pierre, le gouvernement. Nous avons trop de chaos et d’incongruités pour nous étonner des imprévus.

Les choses les plus impossibles se réalisent chez nous avec une célérité incroyable; des changements qui, par leur importance, équivalent à des révolutions, s’accomplissent sans qu’on s’en aperçoive en Europe.

Il ne faut jamais perdre de vue que, chez nous, tout changement n’est qu’un changement de décorations: les murs sont en carton, les palais en toile peinte. Ce que l’on voit sur les tréteaux du grand théâtre impérial n’est pas tout de bon, à commencer par les personnes. Ce grand seigneur, c’est un laquais; ce ministre, dictateur et despote, c’est un révolutionnaire; ce civilisé, ce raffiné — Calmouck par habitude et moeurs. Tout est d’emprunt. Nos rangs sont des rangs allemands, on ne s’est pas même donné la peine de les traduire en russe—le Collégien Registrator, le Kanzelerist, l’Actuarius, l’Executor, restent encore pour faire l’étonnement des oreilles des paysans et rehausser la dignité de divers copistes, scribes et autres palefreniers de la bureaucratie.

Nous autres, comme les enfants trouvés dans un hospice, nous sentons — sans connaître d’autre maison paternelle — que celle-là n’est pas à nous, et nous désirons passionnément la démolir.

Dans cet empire des façades, où il n’y a rien de vrai et de réel, que le peuple en bas et la lumière en haut, il n’y a que deux éléments qui font exception, deux forces de destruction: c’est le courage militaire et le courage de la négation. Or, n’oublions pas que «la négation active est une force créatrice», comme l’a dit, il y a bien des années, notre ami Michel Bakounine. Il est impossible de parler sérieusement du conservatisme en Russie.’ Le mot même n’existait pas avant l’émancipation des paysans.

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Nous pouvons être stationnaires comme le saint Stylite, ou marcher à reculons comme une écrevisse, mais nous ne pouvons pas être conservateurs, car nous n’avons rien à conserver. Edifice mixte, sans architecture, sans solidarité, sans racines, sans principes, hétérogène et plein de contradictions. Camp civil, chancellerie militaire, état de siège en temps de paix, mélange de réaction et de révolution, prêt à durer longtemps et à tomber en ruine demain.

Le jour où Pierre, tzar byzantin, s’est fait empereur à l’allemande et prit un gîte à Pétersbourg — le tzarisme a perdu tout terrain conservateur. Depuis ce temps, l’empereur change comme un Protée: il est femme et homme, Romanoff et Holstein.— Civilisateur le knout à la main, le knout à la main persécuteur de toute lumière, gardant les traditions, brisant les traditions, faisant la barbe à son empire par esprit révolutionnaire et épous-setant la poussière d’une vieille église à barbe, pour s’opposer à la révolution.

Aujourd’hui premier gentilhomme, demain premier peuple; aujourd’hui l’idée peut lui venir de continuer le règne fou de Paul Ier, demain, de se proclamer Pougatcheff II. J’ai toujours admiré l’adjectif hermaphrodite que Voltaire a employé en disant Catherine le Grand: confusion de sexe, de fonction, cumul, absorption, promiscuité.

La noblesse voudrait bien jouer un rôle de conservatistes-tories, mais heureusement elle est

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lequel nous nous trouvions, pendant les trente années de ce règne, était plus douloureux que les malheurs qui tombaient sur notre tête. Nous étions dépaysés, sans racines, ignorant le peuple,